Les déportés de Frelinghien, Comines... (1)
Page créée le 8 novembre 2020 - Dernière modification de la page le 10 décembre 2021
Table des matières (Accès direct à.....)
1 : les prémices de la tragédie
Dans le cadre de cette affaire et pour comprendre ce qui s'est passé dans les communes de Frelinghien, Comines en France ; Warneton, Kaster et Ploegsteert en Belgique, il faut d'abord se plonger dans l'étude des Archives anglaises à Kew, retrouver et traduire le rapport d'évasion d'un soldat anglais du corps expéditionnaire anglais basé en France en Belgique en 1940. Ce soldat anglais s'appelait James BLORE.
Il était soldat au 8ème bataillon de fusiliers du Lancashire. Technicien dans l'électrique dans le civil, il n'avait que 19 ans quand il arrive en France en 1940.
1) Capture :
En avril 40, ma compagnie, sous le commandement du Lt WILSON, a été rattachée à un régiment écossais à la frontière franco-belge. Le 10 mai, les Allemands sont entrés en BELGIQUE et nous avons fait mouvement vers WERVICQ. Le 12 mai, les Allemands ont attaqué notre position, et nous avons battu en retraite pendant la nuit. Nous avons continué à battre en retraite pendant les sept jours suivants, et nous avions alors atteint la FRANCE. Vers le 20 mai, le canon et le camion de ma section ont été mis hors service, et le Cpl HIGGINS, qui était aux commandes, a ordonné au Fus. Robert NORGAN et moi-même d'aller demander des instructions au quartier général. Mais nous nous sommes égarés et avons fini par trouver nos hommes au quartier général d'un régiment écossais. Cette nuit-là, les Allemands ont attaqué, et après environ cinq heures de combat, nous étions encerclés. Le capitaine STONE nous a ordonné de nous rendre.
2) Tentative d'évasion :
Nous avons été envoyés vers le nord par courtes étapes. Le 6 juin, nous avons atteint VALENCIENNES, et alors que nous traversions la ville, NORGAN et moi avons glissé de la colonne de marche dans une maison vide. Nous y sommes restés cachés pendant quatre jours. La seule nourriture que nous avions était de la rhubarbe et du sucre que nous avons trouvés dans la maison.
Le 10 juin, nous avons décidé de nous diriger vers le sud, mais nous n'avions pas parcouru la distance d'une chemise lorsque nous avons été arrêtés. On nous a emmenés à MONS par le train et on nous a mis dans des baraquements où étaient logées des troupes de la jeunesse hitlérienne, et on nous a obligés à les aider dans leur tâche de déchargement des camions, etc..... Le lendemain de notre arrivée, des prisonniers français et marocains nous ont rejoints. Nous avons ensuite été envoyés dans un camp voisin, où nous avons rencontré plusieurs prisonniers britanniques blessés.
3) Evasion :
A partir du 20 juin, nous avons marché vers le nord pendant environ 16 jours, avant d'atteindre SOISSONS, au sud de RENAIX. Nous avons de nouveau glissé de la colonne de marche et nous nous sommes cachés dans une brasserie vide. Nous avons mis des vêtements civils que nous avons trouvés là, et le même jour (vers le 6 juillet) nous avons commencé à marcher vers le nord-ouest, en espérant atteindre la côte.
Nous sommes passés par LESSINES, FLOBECQ, RENAIX jusqu'à un point au sud d'AUDENARDE. Nous avons traversé le canal de l'ESCAUT en passant devant une sentinelle qui gardait un pont, et sommes finalement arrivés à CASTER vers le 13 juillet. Pendant ce temps, nous vivions de enréesr données dans des fermes, et tous les légumes que nous trouvions dans les champs.
4) Expériences ultérieures :
Lorsque nous sommes arrivés à CASTER, nous sommes allés dans une maison pour manger et avons immédiatement été invités à l'intérieur et avons reçu un repas. Peu de temps après, une femme qui parlait anglais est venue nous voir et, après nous avoir interrogés de près, elle nous a ramenés avec elle dans sa maison. Nous sommes restés à cette adresse pendant 14 mois, en travaillant à la ferme. Les Allemands ont visité la maison à deux reprises, mais les deux fois, nous avons échappé à la détection.
Le 23 septembre, nous sommes partis en train pour WARNETON, où nous avons passé la nuit. Le lendemain, nous avons franchi la frontière pour entrer en FRANCE. Notre guide nous a conduits à une adresse à COMINES où nous sommes restés trois semaines.
À la fin de cette période, on nous a dit que les projets étaient tombés à l'eau et que l'organisation n'envoyait plus personne vers le sud.
Vers la mi-octobre, nous sommes retournés à CASTER sur les conseils de notre assistante, qui nous a dit qu'elle essaierait de contacter une autre organisation. Nous nous sommes remis en route avec elle au début du mois de novembre, et après avoir traversé la frontière française, nous sommes arrivés à FRELINGHEIN. Nous y avons reçu la visite de deux hommes qui nous ont dit qu'il était prévu de nous envoyer au Royaume-Uni par avion, dans quelques jours. Mais ce plan a également échoué et vers le 7 novembre, nous sommes retournés à notre ancienne adresse à COMINES. Le 23 novembre, j'ai été transféré à WARNETON, tandis que NORGAN est retourné à CASTER.
Je suis resté à WARNETON jusqu'au 23 sept 42. Ce jour-là, mon hôtesse a été arrêtée par la gestapo pour ses activités dans le mouvement clandestin. Cette fois, j'ai réussi à me cacher et je n'ai pas été découvert. Les jours suivants, un homme m'a emmené à COMINES. Je suis resté ici jusqu'en novembre 43. C'est à ce moment-là que j'ai appris que NORGAN avait été arrêté à YPRES. J'ai immédiatement quitté la maison dans laquelle je logeais et je me suis rendu à une autre adresse en ville. Le 29 novembre, j'ai été emmené par camion à WASQUEHAL où je suis resté jusqu'en septembre 44.
Le 3 septembre, les F.F.I. ont pris le contrôle de la ville. Ce fût le premier jour où j'ai osé sortir de la maison. Quelques jours plus tard, les troupes britanniques entrèrent dans WASQUEHAL. Le 13 septembre, je me suis présenté au Major DENNETT Lancashire Fusiliers et on m'a dit d'attendre les ordres. Au bout de trois semaines, je me suis présenté au camp du 39 R.H.U. On m'a emmené à ROUBAIX, où j'ai revu le Major DENNETT. On m'a dit de retourner à WASQUEHAL et de me présenter chaque jour au camp du 39 R.H.U.
Quelques jours plus tard, on m'a envoyé à BRUXELLES, que j'ai quitté le 15 octobre par avion pour le Royaume-Uni.
L'orthographe, l'organisation du texte et le nom des lieux respectent le texte d'origine.
Les prochains chapitres vous montreront qu'il sera également rattrapé après guerre, bien involontairement, par les conséquences de ce drame qui s'est joué pendant et après son départ précipité de Comines.
En quittant Wasquehal après plus de 1650 jours passés à se cacher et, contrairement à environ 3 500 de ses compatriotes tous soldats britanniques, James BLORE n'aura pas eu la chance d'être exfiltré de France. Se doutera-t-il du terrible bilan suivant ? :
- Mr Joseph ARNOUT, forgeron, rue de l'Aventure à Frelinghien, arrêté, classé NN, déporté à DORA, mort en déportation
- Mme Marie BOIDIN, Marchande de charbons, route de l'Aventure à Frelinghien, arrêtée, classée NN, déportée à Ravensbrück, Mauthausen, rentrée en avril 1945.
- Mme Solange DESQUIENS, servante, habitant à Frelinghien, arrêtée, déportée à Bergen-Belsen , morte en déportation à l'âge de 23 ans, laissant derrière elle deux jeunes enfants en bas-âge.
- Mr Louis BOIDIN, maraîcher, route de l'Aventure à Frelinghien, arrêté, classé NN, déporté à Gross-Rosen, mort en déportation.
- Mr Edmond SMEDTS, chauffeur, route de l'Aventure à Frelinghien, arrêté, déporté à Buchenwald, rentré en 1945
- Mr Robert DEMAGT, Chauffeur, rue d'Armentières à Frelinghien, arrêté, déporté à Gross-Strehlitz, mort lors de l'évacuation du camp.
- Mme Cécile DEMAGT-QUESTE, rue d'Armentières à Frelinghien, arrêtée, déportée à Ravensbrück, Mauthausen, rentrée en 1945
- Mme Hélène BREL-DURNEZ habitant au 2 rue d'Ypres à Warneton Belgique, déportée à Ravensbrück, Mauthausen, rentrée en 1945. Son mari Mr Maurice BREL sera également arrêté, déporté et mourra en déportation.
- Mr Gaston RONDELET, Chaudronnier à la centrale thermique de Comines, habitant rue de Wervicq à Comines, arrêté, déporté à DORA et mort en déportation
- Mme Marie RONDELET-DEBREZ, habitant rue de Wervicq à Comines, arrêtée, déportée à Ravensbrück, morte en déportation, gazée le 18 février 1945.
- Mme Elsa ALGOET habitant à KASTER en Belgique, arrêtée, déportée, rentrée
- Mr Achille ALGOET habitant à KASTER en Belgique, père d'Elsa, arrêté, déporté et mort en déportation
- Mme Alice ALGOET-VANDENDRIESSCHE habitant à KASTER en Belgique, mère d'Elsa, arrêtée, déportée et morte en déportation
- Il est possible que les frères d'Elsa, Achille, Gérard et Julien aient été également arrêtés.
- Le garde-champêtre de KASTER qui avait prévenu la famille ALGOET aurait également été déporté.
- Mr Paul ROSE, instituteur au Bizet en Belgique près d'Armentières, arrêté, déporté à DORA, mort en déportation.
- Mr Marcel DERAMAUX, garde-champêtre au PLOEGSTEERT en Belgique, oncle de Mme Solange DESQUIENS de Frelighien, arrêté, déporté, rentré.
L'histoire ne se terminera pas avec le seul retour des déportés. Quelques rescapés des camps de concentration se révèleront tenaces à faire condamner celui qui les auraient dénoncées et un premier procès à BRUGES initiera, après guerre, une embrouille politico-judiciaire entre l'Angleterre et la Belgique.
2 : l'appendix C du rapport d'évasion de Jim BLORE - les pièces du puzzle
Le document dénommé "Appendix C" d'un rapport d'évasion n'est pas forcément présent dans le dossier d'un soldat ou d'un aviateur. Par chance, pour James BLORE, le dossier est complet. Le militaire, y retrace rapidement son parcours, tout en donnant les noms des personnes qui les ont aidées.
[TRADUCTION l'APPENDIX C de son rapport d'évasion - Date de l'interview : 16 octobre 1944.
Le fusilier. NORGAN, Robert, et moi, après nous être échappés de la colonne de marche, près de RENAIX, avons atteint CASTER vers le 13 juillet 1940. Nous y avons été hébergés par Mme KONINK, OldPonsstraat, pour la journée. Elle a contacté Melle Elza ALGOET, qui habitait tout près, et la nuit, nous sommes allés chez elle. Nous sommes restés à cette adresse pendant 14 mois.
En septembre 41, nous avons reçu la visite de Mme BRELL, 2 rue d'Ypres, WARNETON, qui nous a dit que des dispositions étaient prises pour nous envoyer au Royaume-Uni. Nous sommes partis avec elle le 23 septembre en train pour WARNETON, où nous avons passé la nuit. Les jours suivants, nous avons traversé la frontière française et atteint COMINES où nous avons passé trois semaines chez Mme RONDELET-DEBREZ, rue de Wervicq.
Vers la mi-octobre, nous sommes retournés chez Mme KONINK sur les conseils de Mme BRELL, car les arrangements étaient tombés à l'eau. Début novembre, nous repartons avec Mme BRELL, qui nous fait traverser la frontière de FRELINGHIEN où nous logeons chez Mme BOEDEN. Le même jour, nous avons reçu la visite de M. ROBERT (nom de famille inconnu) et de M. Paul ROSE, qui habitait près de WARNETON. Ils nous ont dit qu'il était prévu de nous envoyer au Royaume-Uni par avion.
Mais comme ce plan est également tombé à l'eau, Mme BRELL nous a ramenés chez Mme RONDELET DEBREZ à COMINES. Nous y sommes restés jusqu'au 23 novembre, date à laquelle je suis allé chez Mme BRELL à WARNETON, tandis que NORGAN est retourné chez Melle Elza ALGOET à CASTER.
Je suis resté chez Mme BRELL pendant dix mois. Le 23 septembre 42, la Gestapo l'a arrêtée pour complicité dans le mouvement clandestin et l'a envoyée en ALLEMAGNE. J'ai réussi à me cacher et à échapper à la détection. Le lendemain, M. Paul ROSE est venu me chercher et m'a conduit chez Mme RONDELET-DEBREZ à Comines, où je suis resté jusqu'en novembre 43. A ce moment-là, j'ai appris que NORGAN avait été arrêté par les Allemands à YPRES et avait donné les noms et adresses de tous ceux qui nous avaient aidés et abrités. On m'a dit que toutes les personnes mentionnées ci-dessus avaient été arrêtées et envoyées en ALLEMAGNE.
J'ai immédiatement quitté la maison de Mme DEBREZ et je suis allé chez Mme VANPRAET, rue de la gare, COMINES. Le 29 novembre, elle m'a emmené à WASQUEHAL où je suis resté chez M. LLIERES, 5 rue d'Austerlitz, pendant les dix mois suivants. M. LLIERES a chez lui un poste de transmission qui a été utilisé de temps en temps par un capitaine du service de renseignement britannique. Il était également chargé de l'alimentation des 200 jeunes qui se soustrayaient au service de complicité. Il a fabriqué plus de 1 000 fausses cartes d'identité, et pendant que j'étais ici, on m'en a fourni une.
- La liste des aidants belges (Belgian Helpers) indique que Mr et Mme Camille DECONINK habitaient au 2 Oude Ponstraat à KASTER alors que la famille ALGOET habitait au 7 de la même rue. Il faut donc lire Mme DECONINK au lieu de Mme KONINK.
- Pour "Mme BRELL", il faut lire Mme BREL
- Pour "M. ROBERT (nom de famille inconnu)", il faut lire Mr Robert DEMAGT époux de Cécile DEMAGT-QUESTE
- Pour "Mme BOEDEN", il faut lire Mme BOIDIN
- Pour Mme VANPRAET, la liste des aidants français (French Helpers) indique que Mme Victoria VANPRAET habitait après guerre au pavillon 5 de l'Energie électrique (Centrale thermique de Comines); pour la rue de la Gare, on trouve Mme Marthe ALLARD au numéro 10.
- Mr Pierre LLERES a été également reconnu comme "French Helper", il habitait au 5 ter Rue d'Austerliz à WASQUEHAL. Il est né le 22 janvier 1895 à SAINT-LAURENT-DE-CERDANS dans les Pyrénées orientales selon les informations du Service Historique de la Défense
- Pour "Service de complicité", il faut lire S.T.O : Service de Travail Obligatoire instauré par l'Etat Français dirigé par le Maréchal Pétain pour répondre à l'injonction du régime nazi, exigeant une aide massive dans les usines allemandes afin d'y compenser le manque de main d'oeuvre et notamment d'ouvriers mobilisés dans l'armée allemande. Dans les faits, un univers concentrationnaire déguisé. Beaucoup de jeunes Français tenteront de s'y soustraire en se cachant, en entrant dans les maquis ou en tentant de quitter la France en franchissant notamment les Pyrénées pour gagner l'Espagne et ensuite l'Afrique du Nord ou l'Angleterre.
L'appendix C de son SPG écrit donc le scénario du drame qui s'est joué dans ces quatre communes . Robert NORGAN se sépare de James BLORE en novembre 1942 pour rejoindre KASTER et celle qu'il épousera en 1946 à MANCHESTER en Angleterre.
Dès leur retour en 1945, quelques rescapés des camps de concentration se révèleront tenaces à faire condamner celui qui les auraient dénoncées et un procès à BRUGES en 1948, après deux ans d'enquête, devant une cour martiale belge juge et condamne John Robert Norgan à la prison à vie. Cette condamnation initiera une embrouille politico-judiciaire entre l'Angleterre et la Belgique. Deux blocs vont donc alors se confronter :
- Celle des Résistants et Résistantes rescapés (es) des camps de concentration qui pensent avoir acquis la certitude et suffisamment de preuves pour dire que Robert NORGAN a délibérément dénoncé tous ses hébergeurs et les aidants (tes) indirects (es).
- Celle du frère de John Robert NORGAN, de députés britanniques et d'une association de vétérans anglais qui prendront sa défense en dénonçant trois injustices : son arrestation en 1948 par les services de sécurité belges, son procès et sa condamnation, considérant que John Robert NORGAN avait "parlé" sous la torture. Le témoignage, pendant le procès, d'un des policiers de la GFP de Courtrai va également susciter de nombreuses protestations.
Les archives américaines, anglaises sont désormais déclassées mais les minutes du procès difficilement consultables à Bruxelles. Des témoignages familiaux ont aussi donné d'autres éclairages. Les prochains chapitres de cet article permettront de les exposer.
3 : Pris au coeur de la tourmente, sans y avoir été directement impliqué : Joseph ARNOUT de Frelinghien
Joseph ARNOUT est né le 24 mars 1908 à Frelinghien. Il était forgeron au hameau de l’Aventure à Frelinghien dans le Nord de la France. Il était père de six enfants ; Nelly née en 1933, Joseph né en 1934, Jean né en 1936, André né en 1938, Monique née en 1942 et Marguerite née en avril 1944. Joseph ARNOUT a été arrêté le 29 novembre 1943, Marguerite n’aura donc jamais connu son père.
Les références de son dossier de Résistant au SHD de Vincennes (Côte GR 16 P 18159) indique deux homologations : FFI et DIR (Déporté-Interné-Résistant) ; aucune homologation FFC (Forces Françaises Combattantes) ou RIF (Résistance intérieure française) ne lui a été donnée. Son dossier « French Helper » à la NARA le donne comme membre du réseau « Voix du Nord », d’autres sources le donnent comme membre du réseau « Zéro-France », réseau de renseignements d’origine belge.
Dès juin 1940, des embryons d'organisations parfois prémices de futures grandes filières régionales ou nationales, virent rapidement le jour dans de nombreux secteurs des régions Nord de la France et de la Belgique. Mais ces filières manquaient parfois de contacts afin d'envoyer vers la zone libre, première grande étape avant leur retour vers l’Angleterre, des "évadés ou échappés" britanniques en errance dans les campagnes belge et française. Dans leur grande majorité, ces soldats avaient été séparés de leurs unités ou échappés des colonnes de prisonniers.
Or, le hameau de l’Aventure à Frelinghien semble donc avoir été très actif localement dans ce domaine. Un faisceau d’informations convergeantes, issues de différentes sources ainsi que divers témoignages y donneront définitivement crédit.
En 1941, lorsque Jim BLORE et John Robert NORGAN arrivent au hameau de l'Aventure à Frelinghien, un groupe était déjà constitué avec Marceau SMEDTS, chauffeur des véhicules de Marie BOIDIN, Solange DESQUIENS sa femme de ménage, son voisin Joseph ARNOUT,Louis, le frère de Marie BOIDIN et Robert et Cécile DEMAGT habitant eux, une maison isolée non loin du bourg de Frelinghien. Leurs contacts s'étaient également élargis dans les communes voisines avec Paul ROSE et Marcel DERAMAUX de Ploegsteert, Hélène BREL-DURNEZ de Warneton, Gaston et Virginie RONDELET de Comines .
Marceau SMEDTS et Marie BOIDIN du hameau de l' Aventure, indiquent également des contacts avec Maurice DECHAUMONT de Wambrechies. Employé à la SNCF, Maurice DECHAUMONT est arrêté le 8 décembre 1941 à son bureau à Lille, dans le cadre de l’affaire Harold COLE, soldat anglais arrêté puis retourné par la Gestapo. Quant à Maurice DECHAUMONT, dans son dossier archivé aux USA, il indique qu'il est en contact avec Hélène BREL-DURNEZ. René HENRY de l’O.C.M de Lille (Organisation Civile et Militaire) atteste, en mai 1946, de l'appartenance d'Hélène BREL-DURNEZ à l'organisation. Maurice DECHAUMONT y ajoute sa date d’intégration par annotation manuscrite, le tout contresigné par Mr MARQUILLIES maire de Wambrechies. (1)
Marie BOIDIN cite également Mme CAMBIER de WAVRIN comme contact. Il s’agit de Laure CAMBIER, qui habitait au 5 de la rue du Colonel Driant, de grade 5, homologuée DIR dans les références de son dossier de Résistante archivé au SHD de Vincennes. Le bulletin municipal des habitants de WAVRIN de mars-avril 2013 la met à l’honneur dans un article relatant ses activités dans la Résistance. Laure Cambier était commis de préfecture, elle est entrée en résistance dès septembre 1940 en aidant au regroupement de soldats britanniques, plusieurs fois arrêtée, incarcérée, torturée, elle échappa à la déportation par l’avance des armées alliées. (2)
L’exposé de tous ces liens montre bien l’extrême complexité de la toile d’araignée tissée par les premières filières d’évasion composées de connaissances, d’amis, de relations, de voisins…. qui se feront reconnaître après guerre comme membres des réseaux de résistance que l’on connait aujourd’hui.
Lorsque James BLORE et Robert NORGAN arrivent à Frelinghien, ce n’est donc pas sur un terrain vierge de Résistance et ils sont deux parmi tous ceux qui ont déjà été aidés. Il n’est pas impossible que la récupération d’armes pour la Résistance ait été aussi une activité du groupe puisque la Gestapo parle de dépôts d’armes dans ses chefs d’inculpation. Dans son témoignage, Cécile DEMAGT indique également que son mari s’occupe des armes. Hélène BREL ramènera chez elle un revolver d'un stock d'armes présent chez Mme BOIDIN avec des munitions qui lui sont remises par Paul ROSE.
Comme le dit Hélène BREL-DURNEZ dans ses mémoires, Joseph ARNOUT n’était pas directement impliqué dans l’hébergement de James BLORE et Robert NORGAN mais, habitant le hameau, avec un métier qui le faisait côtoyer les personnes qui y habitait, il est raisonnable de dire qu’il ne pouvait pas, à minima, ne pas être au courant des activités du groupe « BOIDIN » et selon toute vraisemblance, y participait par une aide matérielle ou logistique. Hélène BREL-DURNEZ, à son retour des camps, ajoute également : « Ce pauvre Monsieur ARNOUT ! ».
Il existait une relation commerciale implicite : sa forge nécessitant d’être alimentée par du charbon, Marie BOIDIN en faisait le négoce.
Le lundi 29 novembre 1943, Joseph ARNOUT se trouvait avec d'autres, au mauvais moment, au mauvais endroit quand la GFP de Courtrai est arrivée au hameau de l'Aventure.
Conduit à la prison de Courtrai avec l’ensemble des personnes arrêtées, il sera classé NN (Décret Nacht und Nebel), donc appelé à disparaître sans laisser de trace. Aux termes de l’instruction de son dossier, l’affaire est qualifiée « d’espionnage et autres ». Il est déporté le 12 avril 1944 vers la forteresse de Gross-Strehlitz puis vers le camp de concentration de Gross-Rosen où il reçoit le matricule 81733. En février 1945, il est immatriculé 112489 à DORA. Interné au block 108, il décède le 5 avril 1945, d’une pneumonie gauche à 16 H 10, quelques jours avant la Libération du camp par les Américains. (3)
Le 29 Février 1946, Le Lt Colonel britannique WINTERBOTTOM (I.S. 9), sur base du rapport d’un Major venu instruire le dossier d’aide au domicile de la famille ARNOUT à Frelinghien, envoie les conclusions suivantes au Major américain WHITE à PARIS.
« M. ARNOUT s'est surtout occupé d'apporter de la nourriture à Mme BOIDIN qui a hébergé de nombreux évadés. Parmi eux se trouvait le soldat de deuxième classe Robert NORGAN. Ce dernier, après avoir quitté la maison de Mme BOIDIN, se rendit chez Mme ERGOUT (Lire Mme ALGOET) en BELGIQUE, où il fut arrêté le 29/11/1943 (4) et livra immédiatement tous ses aides.
Une déclaration a été obtenue du Sdt NORGAN par le G.O.C Northern Command et soumise à l'A.G.3 dans laquelle il ne cache pas le fait qu'il a soumis les noms de ses aides aux Allemands.
Témoins de l'arrestation : SMEDTS et CARLIOR (Lire CARLIER - Cultivateur et voisin de Marie BOIDIN) de Frelinghien
OBSERVATIONS : M. ARNOUT était au domicile de Mme BOIDIN lorsque les Allemands ont procédé aux arrestations. Il a été déporté et est mort en camp de concentration. Il est une des personnes dénoncées par NORGAN bien qu'il ne lui ait pas apporté d'aide.
NOTE : Mme ARNOUT ne croit pas que son mari soit mort et ne fait donc rien pour tenter de se procurer un certificat de décès. Je suggère que nous fassions un dernier essai au Bureau des recherches en Allemagne, avant de la rencontrer à nouveau. J'ai demandé à Mme BOIDIN, une de ses amies, d'essayer de la rapprocher le plus possible de la réalité. » (5)
4 :Solange DESQUIENS, la convoyeuse vers COMINES
Solange DESQUIENS est née le 4 mai 1922 à Armentières. Elle est la fille d’Alphonse DESQUIENS et de Maria DERAMAUX. Maria est la sœur de Marcel DERAMAUX de Ploegsteert, arrêté avec Paul ROSE dans le cadre de la même affaire.
Elle travaille comme servante chez Mme BOIDIN et selon le témoignage de Cécile DEMAGT (1), elles ravitaillaient à moto les époux RONDELET qui ne pouvaient avoir la charge, seuls, de les nourrir. « Mme BOIDIN, avec son négoce de charbon, troquait sa marchandise rare contre du ravitaillement tout aussi rare. »
Les références de son dossier de Résistante au SHD de Vincennes indiquent deux homologations FFI et DIR (Côte GR 19 P 180572) et selon Mr Laurent THIERY, historien à la Coupole, elle est reconnue membre du réseau « VOIX DU NORD » par DUMEZ un de ses fondateurs.
Son dossier « French Helper » archivé à la NARA comporte les feuillets suivants :
- Une lettre à Monsieur Alphonse DESQUIENS qui l’informe que les Alliés fournissent une aide financière pour ses deux orphelins en reconnaissance des services rendus à la Cause Alliée par sa fille, services qu’elle a payé du sacrifice supréme de sa vie.
- Un fiche bilan indiquant qu’elle a été arrêtée le 20 mars 1943, qu’elle n’était pas mariée mais vivait avec H…….. G…………. .Elle était mère de deux enfants nés en 1942 et 1943. Ce rapport comporte deux nombreuses erreurs car le militaire chargé de ce bilan et qui le rédige confond Mme Marie BOIDIN de Frelinghien avec Mme Marie BOIVIN de FISMES dans la Marne (Membre du réseau POSSUM, dénoncée par un jeune Français, arrêtée, déportée et morte en déportation). La traduction respecte le texte original notamment l'absence de son prénom et de sa civilité :
- « DESQUIENS était femme de ménage dans la maison de Mme BOIVIN de FISMES. Mme BOIVIN a abrité le S/Sgt H.KLEIN (E&E 192) et le T/Sgt John M.DESROCHERS (E&E 193) et plus tard 2 aviateurs britanniques ; le Sdt Robert MORGAN et le Sdt Jean BLORE (SPG 2644). Ces deux derniers aviateurs ne sont pas mentionnés dans le questionnaire de BOIVIN. Dans le questionnaire de DESQUIENS, il est indiqué que DESQUIENS a été arrêtée parce qu'elle se trouvait dans la maison de BOIVIN lorsque Mme BOIVIN a été dénoncée par MORGAN. Cependant, M. BOIVIN déclare que sa femme a été arrêtée le 27 avril. 44 sur la dénonciation de la famille JEUNET et ne mentionne pas MORGAN. Comme Solange DESQUIENS était enceinte au moment de son arrestation, elle n'a été arrêtée que lorsqu'elle a eu son bébé. Les témoins de l'arrestation des DESQUIENS sont les BOIVIN et Mme DEMAGT. Aucune confirmation d'E&E. Pas de confirmation des coauteurs. La famille est pauvre, il est urgent que quelque chose soit fait pour les enfants parce que l’homme qui en est le père n’a plus donné de ses nouvelles depuis le mois de juin – probablement 1945. Il y a une attestation d’un aumônier qui a assisté DESQUIENS dans ses dernier moments à BERGEN BELSEN, le 30 avril 1945. Un exemplaire est dans la procédure d'obtention d'un certificat de décès auprès de la Maison des Prisonniers, 95 , rue du Molinel, Lille (Nord). Document approuvé par le Capitaine S. MAYEAUX». (2)
- Au final, une erreur de gestion entre deux dossiers mais avec des faits bien réels pour chacun d’entre eux.
- Une note qui suggère d’écrire à Mr Emilien BOIVIN de FISMES lui demandant confirmation de l’arrestation de DESQUIENS et pour obtenir les nom et adresse de la personne qui est en charge des deux enfants de DESQUIENS. Une seconde lettre à Mme Veuve Cécile DEMAGT, 5 Rue d’Armentières à Frelinghien (Nord) pour lui demander une confirmation.
- Une lettre en date du 15 février 1946 du Major JF WHITE (Un nom régulièrement retrouvé dans de très nombreux dossiers d'Aidants français puisque le Major WHITE commandait le service américain instruisant les dossiers des « French Helpers, basé à l’hôtel Majestic, rue Lapérouse à PARIS) à Madame Marie BOIDIN :
- « Afin de compléter nos dossiers, nous serions extrêmement obligés de bien vouloir nous indiquer quelles étaient, à votre connaissance, les activités clandestines de Mademoiselle DESQUIENS, employée à votre service, et qui fut déportée en Allemagne où elle est décédée. » (2)
- Une lettre de recommandation du Lt Colonel britannique WINTERBOTTOM de l’I.S. 9 en date du 11 novembre 1946 pour une pension en faveur de Réginald Alfred DESQUIENS (âgé de 3 ans) et de Alain Alphonse DESQUIENS (âgé de deux ans) de Frelinghien. Comme pour Joseph ARNOUT, à un détail près et non des moindres, cette lettre indique que le soldat NORGAN a été interrogé par le G.O.C Northern Command.
- «Une déclaration a été obtenue du Sdt NORGAN par le G.O.C. Northern Command, et soumise à l'A.G.3 (c), dans laquelle il ne salue pas le fait qu'il ait soumis les noms de ses aides aux Allemands. Cependant, il déclare qu'il ne l'a fait qu'après avoir été sévèrement battu. Melle DESQUIENS est arrêtée avec son employeur en novembre 1943. Elle a été libérée deux jours plus tard, car elle était enceinte. Après la naissance de l'enfant, le 31 janvier 1944, elle est à nouveau arrêtée le 20 mars 1944 et déportée en Allemagne, où elle meurt le 30 avril 1945. L'aumônier de la prison MORVILLIER certifie qu'il a assisté à son décès le 30 avril 1945 à Bergen-Belsen. Melle DESQUIENS était mère de deux enfants bien que non mariée. Le père est inconnu, mais les enfants sont reconnus officiellement par leur mère comme l'indique l'acte de naissance dans le dossier. Le paiement suggéré serait une responsabilité anglo-américaine. Comme Melle Solange Desquiens était une femme de ménage, ses deux enfants orphelins doivent être considérés comme des personnes à charge indigentes. » (2)
- Un questionnaire rempli par Alphonse DESQUIENS, père de Solange DESQUIENS décédée, en date du 6 mai 1946 et envoyé au Major WHITE à Paris. Monsieur DESQUIENS indique qu’elle habitait au 13 Cité du bon coin à Frelinghien et confirme la date d’arrestation du 20 mars 1944.
Comme le dit Hélène BREL -DURNEZ dans ses mémoires (1) , le secrétaire-policier Christian WIEGAND de la GFP de Courtrai semblait devoir accorder beaucoup d'importance à ce dossier pour faire arrêter une seconde fois Solange DESQUIENS et la faire déporter ensuite à Bergen-Belsen non sans l'avoir fait passer par les prisons de Courtrai, Brandenburg-Görden, Bruxelles Saint Gilles, Cologne, Gross Strehlitz et les camps de concentration de Ravensbrück, Mauthausen et de Bergen-Belsen.
On peut aussi insister sur l'importance du fait que les Britanniques et les Américains ont été extrêmement vigilants à remercier et à dédommager toutes les personnes qui avaient aidé à l'exfiltration de leurs ressortissants entre 1940 et 1944. Pascale et Jean Marie VIENNE de Quesnoy sur Deûle qui étudient précisément ce dossier, arrivent à un total de 9 111 782 francs de l'époque (chiffres novembre 2020). L'étude porte sur environ 15% des 22 000 dossiers soit 1 183 440 euros avec une conversion de la valeur du franc 1945 ou 774 050 euros avec une conversion de la valeur du franc 1946.
5 : Edmond SMEDTS, le chauffeur de Mme BOIDIN
Il est né le 21 février 1898 à Armentières de parents tisseurs. Il se marie le 2 juin 1919 à Houplines avec Irma Jeanne CHOQUERIAUX née en 1896. Il décède à Armentières le 1er mai 1962 (1).
Son dossier « French Helper » archivé à la NARA précise qu’il a un enfant âgé de 24 ans en 1945 tandis que son dossier de résistant archivé au SHD de Vincennes indique deux homologations F.F.C. et D.I.R ainsi que deux appartenances à des réseaux de Résistance : "Voix du Nord" et "Pat O'Leary".
Marcelle, la fille du couple Smedts-Choqueriaux, est née à Châlons-sur-Marne (2). Edmond et Irma ont sans doute choisi Châlons-sur-Marne car le frère aîné d'Edmond, Fernand né en 1897 à Armentières, y habitait avec sa femme (3) .Le couple a eu plusieurs communes de résidence : Deulémont, Quesnoy sur Deûle (Hameau du XXème siècle et maisons provisoires), Châlons-sur Marne, Frelinghien (Cité Faucheur), Houplines. Quand la famille vivait à Houplines, c'était au 104 de la rue Voltaire : Edmond était le passeur du bac, la Lys étant juste au bout de la rue et Irma tenait le café. Au dénombrement de 1936, il se déclarait charretier chez Carlier (110 rue Voltaire - marchand de charbon). Il n'était sans doute pas passeur du bac à temps complet. (4)
En 1939, il habitait au hameau de l’Aventure à Frelinghien et Edmond était alors chauffeur chez Marie BOIDIN.
Il a été arrêté le lundi 29 novembre 1943 par la Gestapo de Courtrai chez Marie BOIDIN.
Dans son dossier NARA, il indique qu'il a convoyé dans Frelinghien et quelques fois jusqu’à Béthune et Douai, 7 ou 8 soldats hébergés par Mme BOIDIN, il cite également Mr et Mme DEMAGT de Frelinghien, Mr DECHAUMONT de Wambrechies, Mr et Mme BREL de Warneton, Mr Paul ROSE de Ploegsteert ainsi que Mr et Mme RONDELET de Comines.
Déporté en avril 1944 vers Cologne puis Gross-Streilhitz et Buchenwald, il fût libéré le 23 avril 1945 par les Américains. Hospitalisé, il fût rapatrié le 4 juin 1945. C’est depuis PARIS, le 22 octobre 1945 qu’il fût interviewé par les enquêteurs américains.
Il précise aux enquêteurs américains que la gestapo lui a confisqué tous ses biens.
A la fin de 1941, Edmond Marceau SMEDTS signale à Hélène DURNEZ qu'il pourrait y avoir une possibilité de ramener James BLORE et John Robert NORGAN en Angleterre. Il a un ami militaire qui possède un avion civil et il serait capable de les prendre en charge. (5)
Cette possibilité d'exfiltration semble techniquement et opérationnellement diffiicile à réaliser. L'idée même d'un tel projet parâit être de l'ordre des "rumeurs et bruits qui circulaient" mais on retrouve également cette rumeur dans le dossier "French Helper" de Lucien WILLEMAIN de Marquette lez Lille (tué en décembre 1944 pendant la bataille de Colmar). Lucien WILLEMAIN était en contact avec Maurice DECHAUMONT de Wambrechies. L'épouse de Mr WILLEMAIN explique, dans ce dossier établi en 1945, qu'un petit avion de tourisme était encore présent dans les hangars de l'aérodrome de Bondues et dont le pilote aurait été capable de réitérer un premier exploit en le faisant décoller, de nuit, au nez et à la barbe des Allemands qui occupaient alors le terrain. Fort peu probable.
Par contre, l'exfiltration des deux soldats britanniques par TOUFFLERS et ROUBAIX envisagée par Mr et Mme RONDELET de COMINES pouvait être parfaitement envisagée puisque de nombreux soldats britanniques avaient pu retourner en Angleterre en passant par ABBEVILLE PARIS TOURS TOULOUSE MARSEILLE PERPIGNAN. Le parcours d'évasion se terminant par le passage des Pyrénées. Les couples DEMAGT et RONDELET étaient donc probablement en contact avec le douanier MARC et sa fille Raymonde adjointe de Joseph DUBAR à partir de 1942. Joseph DUBAR était le chef du réseau ALI-FRANCE spécialisé dans la transmission de renseignements et l'évasion.
6 : Marie et Louis BOIDIN
Mme Marie BOIDIN, fille de Emile, cantonnier, et Elise Desreumaux, est née le 16 novembre 1899 à Frelinghien. Elle s’est mariée le 18 mai 1927 à Frelinghien avec Léon Joseph LOGIE, charpentier au dénombrement de 1911 place de l’église, rentier à Quesnoy sur Deûle, né le 19 août 1863 à Quesnoy sur Deûle et veuf en premières noces de Jeanne Célestine Marie Dassonville (née en 1862 à Vieux-Berquin et décédée le 18 mars 1926). Marie BOIDIN est décédée le 23 décembre 1981 à Lille. (1)
Louis BOIDIN, son frère, né le 18 mars 1903 à Frelinghien. Arrêté pour espionnage, il décèdera à Gross-Rosen le 25 janvier 1945 après être passé par les prisons de Courtrai, Brandeburg-Görden, Saint-Gilles Bruxelles, Cologne, Gross-Strehlitz. Comme sa soeur, il sera classé NN. (Côte GR 16 P - 67429 au SHD de Vincennes). Il a été homologué FFC (Réseau "VOIX du NORD") et DIR. (2)
Marie est également homologuée FFC et DIR (Côte GR 16 P - 67480 au SHD de Vincennes : LOGIE épouse BOIDIN Albertine). Pour ce dossier, elle est rattachée au réseau PAT O’LEARY.
Dans son dossier « French Helper » archivé à la NARA aux USA , elle déclare le 26 juin 1945 qu’elle est veuve sans enfant et qu’elle a un commerce de négoce de charbon.
ACTIVITES
J’ai logé deux soldats anglais appelés James BLORE et John Robert MORGAN (orthographe du rapport *) de la fin du mois de juillet jusqu’octobre 1941. I ‘ai aidé d’autres soldats anglais durant toute la guerre. Je fus dénoncée et déportée. Je viens juste de rentrer d’Allemagne le 1er mai 1945 où j’étais depuis le 29 novembre 1943 Les deux soldats anglais avaient été envoyés par Madame BREL de Warneton (Belgique). Madame BOIDIN donna de la nourriture à environ 20 soldats anglais qui étaient logés par ses amis. Elle remit aussi des colis à ceux qui avaient été arrêtés et déportés comme prisonniers de guerre en Allemagne. Elle fut dénoncée par Robert MORGAN après son arrestation. Elle fut arrêtée le 29 novembre 1943, internée à Courtrai, Bruges et déportée en avril 1944 à Cologne, dans la forteresse de Reinbach, puis Ravensbrûck et Mauthausen. Elle fut libérée le 22 avril 1945 et rapatriée par la Suisse.
Elle a travaillé avec :
Madame BREL, 2 rue d’Ypres à WARNETON (Belgique)
Madame CAMBIER de WAIVRIN (Nord) (Lire commune de WAVRIN)
Mr Paul ROSE, déporté, décédé.
Adjudant STRUYFT Léon du Ministère de la guerre à BRUXELLES. (Hélène BREL-DURNEZ parle de Léon STRUYE du réseau BEAVER-BATON)
Le grade 4 est proposé parce qu’elle a été arrêtée. Dans le questionnaire daté ou classé le 15 octobre 1945. Elle donne son frère Albert BOIDIN comme plus proche parent. Elle indique qu’elle fait partie du groupe de Résistance VOIX DU NORD.
Comme autre aidante « Helper », elle cite Mme DEMAGT à Frelinghien qui a logé trois aviateurs.
Le SPG 2644 (Rapport d’évasion) du Soldat G.A. BLORE 3349492 confirme qu’il a été hébergé et nourri chez Mme BOIDIN ainsi que MORGAN (*) En remarques, Marie BOIDIN indique que les Allemands ont pillé sa maison. Elle a besoin d’un camion pour continuer son commerce. Peut-être un camion benne de 5 tonnes pour le charbon.
M WITTET, l’enquêteur, ajoute : « Des photos horribles d'elle à son retour de déportation - cas très méritant. »
Selon le témoignage d’Hélène BREL-DURNEZ (3). avec Marie BOIDIN et Edmond SMEDTS, ne voyant rien bouger de leurs tentatives de procès contre John Robert NORGAN, ils font paraître le texte ci-dessous. La date est inconnue, probablement après 1946 puisque le mariage d'Elza ALGOET et de John Robert NORGAN y est évoqué :
"L’épuration est loin d’être parfaite. Les faits ci-dessous le prouvent. Ce serait à peine croyable si des chiffres et des noms ne parlaient pas d’eux-mêmes.
En juin 1940, un soldat anglais se réfugie chez des civils pour éviter l’emprisonnement. C’est d’ailleurs pour une histoire de femme qu’il reste dans la région. Or, arrêté par les Boches en 1943, il dénonce volontairement quarante personnes. Précisons, accompagné de la Gestapo, il va de maison en maison accuser ses sauveurs. Bilan : quarante déportés dans les camps de déportation. Onze n’en reviendront pas :
Mme et Mr Rondelet Gaston de Comines-France ;
Demagt Robert, de Frelinghien ;
Arnoult Joseph, de Frelinghien père de six enfants ;
Desquiens Solange de Frelinghien, mère de deux enfants ;
Rose Paul, Bizet-Ploegsteert (Belgique) ;
Mme et Mr Algoet, de Caester, près de Courtrai (Belgique)
Vertischelle Firmin, de Caester.
On est toujours sans nouvelles de :
Boidin Louis de Frelinghien ;
Brel Maurice, de Warneton (Belgique).
Comble d’inconscience et d’hypocrisie, ce soldat sans honneur revient à la frontière belge, épouse sa complice ! et personne n’ose s’indigner tout haut car il est roitelet du village.
Il s’agit d’un petit industriel : Bob Norgan, demeurant à Caester, près de Courtrai-Belgique. Qu’attendent la Military Police anglaise ?, les consulats ?.....et le Comité national de la Résistance ?
[signé] Boidin Marie, Smets Marceau, déportés ; « L’Aventure », Frelinghien "
Or, John Robert NORGAN a été convoqué une première fois au début du mois d'avril 1946 devant le parquet militaire belge, et entendu à Ypres avant que le dossier ne soit envoyé au parquet militaire de Bruges. Il avait été, également déjà déclaré innocent, par deux tribunaux anglais des faits de dénonciation de trois prénoms féminins parmi ses "Helpers" à la police allemande. Faits qu'il avait spontanément avoués en septembre 1945 à son retour des camps de prisonniers. Plus tard, son frère H.Robert NORGAN précisera également au député LEVER de Manchester :
"En décembre 1946, mon frère a été accusé publiquement devant un tribunal public à Courtrai. C'est peut-être à ce moment-là qu'il a été placé en liberté conditionnelle après avoir donné sa parole qu'il ne chercherait pas à s'enfuir......Il a donné sa parole et l'a tenue...... sa femme aurait été tenue pour responsable s'il s'enfuyait....". (4)
Ce que ne savent probablement pas Hélène DURNEZ, Marie BOIDIN et Edmond Marceau SMEDTS au possible moment de la parution de leur courrier commun.
Marie BOIDIN est nommément citée dans un document anglais (4) et notamment dans le second rapport du Wing Commander TERRELL, très critique sur la compétence de la Cour Martiale Belge qui a jugé Norgan. Le Commandant Thomas TERRELL avait été mandaté par l’Ambassade Britannique de Bruxelles ou par le FOREIGN OFFICE à Londres pour enquêter sur le cas de ce sujet britannique. Le second rapport porte la date du 16 octobre 1948, donc quelques mois après la condamnation à la prison à vie de John Robert NORGAN à Bruges. Il indique l'avoir établi après discussion avec les avocats de NORGAN et précise dans le paragraphe sur les faits :
« Les principaux témoins à charge à savoir Mme BOIDIN et le chef de la Police allemande WEYGAND, sont très suspects. Mme BOIDIN était soupçonnée de ne pas être un véritable membre de la Résistance et il est curieux que les preuves démontrent qu’elle a été, peu après les incidents évoqués, libérée de prison et son poste de radio lui a été rendu….. ».
Le Commandant TERRELL avait-il vraiment vérifié toutes les informations ? Cela semble difficile à croire. Il met également au même niveau de non-crédibilité le policier de la Gestapo et Marie BOIDIN. Détail d’autant plus embarrassant que le 27 juin 1951, le frère de Robert NORGAN fait la proposition suivante au Député de Manchester, Leslie LEVER, du Comité de soutien à NORGAN :
« Je suis tout à fait certain qu’une lettre à Thomas TERRELL, avocat britannique, qui a beaucoup travaillé sur cette affaire, sera sans doute capable de donner des informations complètes sur la libération conditionnelle de mon frère….. » . (4)
Le nom et les travaux de TERRELL étaient donc connus de la famille NORGAN. Quelques jours plus tard, le 4 juillet, Leslie LEVER, dans une très longue lettre à Mr Kenneth YOUNGER, Ministre britannique des Affaires Etrangères, exige la libération immédiate de NORGAN. (4)
Thomas TERRELL donnera dans ce long rapport du 16 octobre 1948, de nombreuses clés pour comprendre ce qui s’est réellement passé entre le 27 octobre 1943, date d’arrestation de Robert Norgan et le 29 novembre 1943, date d’arrestation de Marie BOIDIN et de tous les aidants des deux soldats anglais.
Se trouvaient donc chez Marie BOIDIN, à son domicile, le lundi 29 novembre au matin : Solange DESQUIENS, Joseph ARNOUT, Louis BOIDIN et Edmond SMEDTS et peut-être Monsieur CARLIER, cité comme témoin de l’arrestation de Joseph ARNOUT.
7 : Cécile et Robert DEMAGT
Robert DEMAGT est né le 13 août 1905 à La Chapelle d’Armentières dans le Nord, marié à Cécile QUESTE, née le 29 avril 1907 à Bresles dans l’Oise. Ils s’installent à Frelinghien en 1934.
« Nous occupions un charmant petit pavillon isolé entre la Lys paresseuse et la route nationale. Un petit élevage occupait nos loisirs . » (1)
Paul et Elvire, parents de Robert, vivent avec eux. Ils ont une fille, Geneviève née le 19 janvier 1928. Le frère de Paul DEMAGT, Raoul tenait une droguerie avec son épouse Angèle au 31 Rue Paul Bert à Armentières. L'Etat-Civil de Metz affiche dans ses publications du 12 mars 1927 : DEMAGT Robert Lionel François, sergent au 11ème régiment d'aviation et QUESTE Cécile-Madeleine à Bresles (Oise)
Robert DEMAGT a un dossier de Résistant archivé au SHD de Vincennes (Côte : GR 16 P 172892). Il a été homologué FFC (Réseau SHELBURN) et DIR. Cécile, son épouse, a également un dossier de Résistance archivé au SHD de Vincennes (Côte : GR 16 P 495336 / QUESTE ép. DEMAGT Cécile). Elle a été Homologuée FFC (Réseau GLORIA SMH). Il a probablement été membre ou proche du réseau ZERO-FRANCE/ALI-FRANCE. Il connaissait Gaston RONDELET de Comines-France qui appartenait à ce réseau.
Robert DEMAGT , classé NN, a été emprisonné à Courtrai, Brandenburg-Görden, Bruxelles Saint Gilles et Cologne puis déporté Gross-Strehlitz. Cécile DEMAGT-QUESTE, également classée NN, a été emprisonnée à Courtrai, Brandenburg-Görden, Bruxelles Saint-Gilles et Cologne puis déportée à Gross-Strehlitz, Ravensbrück et Mauthausen, Elle est rentrée le 22/04/1945 de Mauthausen, libérée par la Croix-Rouge (2). Cécile DEMAGT-QUESTE est décédée à Compiègne le 9 août 1993 (3).
Robert DEMAGT a été abattu par les SS avec un groupe de retardataires lors de l'évacuation de Gross-Strehlitz vers Buchenwald (4). Le dossier NARA des époux DEMAGT comporte un volet britannique et un volet anglais et donne également des précisions sur les causes de sa mort.
Le 29 novembre 1943, Mr et Mme Robert Demagt furent arrêtés par la Gestapo de Courtrai. Ils furent confrontés avec Mme Boidin, Mr Arnout, Mr Rondelet, Melle Desquiens et Mr Smedts avec le Pte NORGAN (Soldat anglais) qui les avait dénoncés. Une déclaration a été obtenue du Pte NORGAN par le G.O.C et soumise à l' A.G.3 dans laquelle il admet avoir donné les noms de ses aides aux allemands. Madame a été déportée le 09/04/1944 à Ravenbruck puis à Mauthausen. Elle fut rapatriée le 01/05/1944.
Madame ne connait pas le nom du camp où son mari a été déporté. Un déporté rentré a signalé sa présence dans un convoi qui quittait la Silésie, mais battu au sol car il ne pouvait plus marcher. Cet homme ajouta qu'il restait une petite chance pour qu'il soit aux mains des Russes. Monsieur est décédé le 7 avril 1945. Ils recevaient les pilotes de Mme BREL déportée également (5).
Dans un second document du Lt. Colonel WINTERBOTTOM de l'IS9 (Grande Bretagne) du même dossier, on précise que :
La mort de Mr Robert Demagt, au début de 1945, a été attestée par Mr Omer JARBINET de SWET en Belgique. Mr et Mme DEMAGT travaillait avec Mme BOIDIN. Leur tâche était de convoyer des évadés de la frontière belge vers COMINES. En novembre 1943, Mr et Mme DEMAGT furent arrêtés par la Gestapo. Ils furent plus tard confrontés avec Mme BOIDIN et les autres membres de l'organisation avec le Pte NORGAN. Il est évident ("obvious") que Pte NORGAN les a tous dénoncés. Comme M. DEMAGT était chauffeur, nous estimons que sa veuve devrait se voir attribuer "C.R Catégorie" (5).
Mme Demagt indique qu'elle a remis les aviateurs américains au café de la Gare à Armentières à une professeure d'un lycée. Elle ajoute Saint Omer sans en être certaine. (6)
Cécile DEMAGT témoigne (1) :
"En 1940, mon mari, ancien aviateur, est mobilisé à la base de Caen. La campagne terminée, il rentre dans ses foyers et essaie de passer en zone libre. Peine perdue, il doit rebrousser chemin, se planquer, se faire oublier.
Nous apprenons qu'une certaine résistance s'organise dans le patelin. De fil en aiguille,du fait de Mme Marie Boidin, négociante en charbon, nous y avons été enrôlés. Mon mari s'occupe des armes. Mon rôle était de faire passer la frontière à Frelinghien aux soldats alliés. Nous sommes en relation avec des résistants de Toufflers (liens avec le douanier Georges MARC déjà cité plus haut) . On trouve toujours à placer ces infortunés."
Je me souviens particulièrement d'avoir fait passer deux soldats anglais prisonniers qui s'étaient évadés du convoi qui les emmenait à Liège. Ce sont Jim BLORE et Robert NORGAN. Chez moi, je leur offre une tasse de café bien chaud. Vers 17 heures, je les conduis chez Marie Boidin. Comme nous habitons à l'extrémité du village et Mme Marie BOIDIN en pleine campagne, le transfert s'est effectué à l'abri des curieux. Ils y sont restés un mois. Je les ai repris et emmenés chez Mr et Mme Rondelet à Comines-France , Mme Boidin nous avait prêté sa voiture et son chauffeur Marceau DESMET. Nous ne pouvions laisser à la charge de la famille Rondelet, seule, la charge de les nourrir. Comme Mme BOIDIN était négociante en charbon, elle avait toute facilité pour troquer sa marchandise rare contre du ravitaillement tout aussi rare. Solange DESQUIENS et moi-même, nous chargions, à la tombée du jour et à moto,de les pourvoir. Au bout de trois mois, une filière les prend en charge. James BLORE établit ses pénates chez Mme BREL-DURNEZ de Warneton tandis que Robert NORGAN s'en va rejoindre la fille de la ferme de KASTER , c'est à dire Elsa, sa future épouse dont le rôle par la suite, ne fut pas brillant du tout......
James BLORE ne voulant plus retourner à KASTER , il implore Mme Hélène BREL de le garder chez elle. Une cache avait été spécialement préparée dans les toilettes de leur maison de Warneton (2).
.......Il fut promis à Bob Norgan que s'il dénonçait toutes ces personnes qui l'avaient hébergé, toute la famille Algoet serait libérée. Ce ne fut qu'un leurre.
Le dimanche 28 novembre 1943, Bob NORGAN, sous bonne garde, il a repéré toutes les maisons amies de Belgique, de Comines France et de Frelinghien.
On sait désormais qu'il y eût, pas une, mais deux reconnaissances préalables. Lors de la première, Norgan était accompagné de SOUKEN, l'un des policiers de la GFP. Il avait été même envisagé de la faire en bicyclette, mais WEYGAND déconseilla cette solution. La seconde se fit le dimanche 28 novembre avec Paul ROSE dans l'une des voitures.
Le lendemain, dès sept heures, la maison est encerclée par dix-sept fridolinss armés jusqu'aux dents. Mon mari essaie de s'enfuir en passant la Lys, il est arrêté par deux soldats qui faisaient le guet près du garage et, c'est les menottes aux poings, qu'il nous est revenu. Pendant ce temps, deux soldats allemands m'ont accompagnée jusque dans ma chambre à coucher sans se soucier d'effrayer les beaux-parents encore couchés ainsi que ma petite fille. Ils m'ont passé les menottes.
Nous avons rejoint une camionnette qui stationnait sur la route précédée et suivie de voitures dans lesquelles les molosses aboyaient haineusement. Nous ignorions les raisons pour lesquelles nous étions arrêtés, nous allions l'apprendre bientôt et douloureusement.
Mr et Mme RONDELET sont également embarqués; il nous est interdit d'échanger la moindre parole. Par le mica de la bâche, je me suis rendue compte que nous étions revenus à Frelinghien. Marie BOIDIN nous rejoint. C'est alors que j'ai pu apercevoir Bob Norgan dans l'une des voitures accompagnatrices. Depuis un an, nous avions perdu sa trace car nous avions quitté Mme Boidin pour aller travailler avec Pouille à Armentières.
Le témoignage de Mme Demagt permet de retrouver l'ordre des arrestations. Elles commencèrent par Frelinghien, continuèrent par Comines pour revenir par Frelinghien. Il n'est peut-être pas à exclure qu'une seconde équipe de la GFP de Courtrai ait opéré le même jour pour les arrestations de Marcel DERAMAUX à Ploegsteert et de Maurice BREL à Warneton avec la présence de Paul ROSE dans une des voitures du convoi. Seul, Marcel DERAMAUX indiquera la présence de son ami Paul ROSE dans une des voitures, lors de son arrestation.
Le calvaire
Nous sommes emmenés à la Kommandantur de COURTRAI et emprisonnés. Pendant un mois, nuit et jour, nous avons subi interrogatoires diaboliques et bastonnades sadiques devant l'Anglais infâme qui nous contredisait sans cesse donnant aux Allemands les renseignements les plus fallacieux, les plus farfelus.
Lors d'une de ces entrevues, prise de rage, je lui ai flanqué une paire de gifles bien appuyée. En retour, j'ai été généreusement servie, les bourreaux m'ont décollé une oreille et c'est le visage sanguinolant que je suis rentrée en prison.
Nous sommes restés à COURTRAI jusqu'à la Noël. On nous a emmenés à BRUGES pour un interrogatoire plus poussé par le commandement de la place. Notre affaire devait donc être sérieuse !.........
........Après huit mois d'incarcération à Bruges, nous avons pris le chemin de la prison de Saint Gilles à Bruxelles; mes compagnes et moi-même n'y sommes restés que quatre jours.
Hélène BREL-DURNEZ, déjà incarcérée à la prison Saint-Gilles, apprendra la nouvelle de l'arrivée de Cécile DEMAGT et de Marie BOIDIN par d'autres détenues. Solange DESQUIENS n'est pas citée par Hélène BREL (2)
Dans des wagons à bestiaux, nous avons pris la direction de l'Allemagne.........../ .......GROSS-STERLITZ. Ensuite ce fut RAVENSBRÜCK dans des conditions infernales. Avec l'avancée des troupes alliés, je fus ensuite déplacée à MAUTHAUSEN où les conditions furent encore plus inhumaines. .....
.......J’étais aussi avec Solange DESQUIENS, arrêtée six semaines après la naissance de son fils, à GROSS-STRELITZ, RAVENSBRÜCK et MAUTHAUSEN. Nous avons supporté notre calvaire ensemble. Solange, très malade, atteinte par la gangrène, a été envoyée à BERGEN-BELSEN où elle est décédée des suites d'une terrible dysenterie......... Louis BOIDIN a dû mourir à GROSS-ROSEN emporté par le typhus. Victime du hasard, il ne s'occupait de rien. J’ai rencontré une fois, Mme BREL chez Mme BOIDIN. A la prison de COURTRAI, J’ai pu entrer en contact avec Marcel DERAMAUX, Paul ROSE de Ploegsteert ainsi que Maurice BREL de Warneton.
Selon Hélène DURNEZ-BREL, la communication sa faisait par messages écrits sur de petits bouts de papier qu'on trouvait dans les paillasses et qui passaient par les détenues qui travaillaient dans la lingerie ou les cuisines. Ce bâtiment de la prison bruxelloise offrait des possibilités de "boîtes aux lettres" entre les quartiers "Femmes" et les quartiers "Hommes" de Saint-Gilles. (2)
Je me rappelle très bien de l'arrogance de Robert NORGAN pendant ses interrogatoires au tribunal à BRUGES. Il fumait des cigarettes, toujours rares à l'époque, et croquait ostensiblement du chocolat. Il devait avoir la conscience bien racornie.
Par la dénonciation écoeurante de l'Anglais, nous avons été arrêtés à dix-sept, cinq sont revenus de l'enfer. Je reste la seule survivante de Frelinghien."
Ce premier vrai témoignage comporte un certain nombre de points qui pourront être comparés plus tard avec ceux retrouvés dans un rapport des documents archivés à KEW en Angleterre. Elle indique également que Geneviève DE GAULLE fut une de ses compagnes à Ravensbruck. Les habits de déportée de Cécile Demagt sont conservés et exposés au centre d''Histoire de LA COUPOLE à Saint -Omer. Après l'arrestation de ses parents, Geneviève, leur fille, fut prise en charge par les parents de Robert Demagt. Son grand-père, Paul Gustave Léon DEMAGT, né a STRAZEELE (Nord) vers 1879, était alors Chef de gare à COMINES France. (3)
Histoire de Marcel DERAMAUX et de Jeanne PAUWELS - Texte de Pierre MAES, un de leurs petits-enfants
Marcel Deramaux naquit le 29 mars 1911 à Warneton dans la rue de Rossignol (La Hutte). Il est le petit dernier d’une famille de huit enfants. Sa sœur aînée a vingt-trois ans de plus que lui et son neveu Alfred est de 1911 comme lui.
Pendant la première guerre mondiale, leur maison étant située en plein cœur du front entre les Anglais et les Allemands, toute la famille fuit d'abord à Nieppe chez Arthur et Mathilde Vanholme. Elle est ensuite évacuée dans le Calvados pour fuir les bombardements.
Au retour de la guerre, tout n’est plus que ruines. Le père de Marcel ne s’en remettra jamais, il aura travaillé toute sa vie pour, à la fin, ne plus rien avoir. La reconstruction commence… En attendant, toute la famille vit dans des baraquements.
Pour sa grande communion, son père lui offre une montre avec ses initiales gravées derrière. Ils vont la chercher ensemble à Ypres… à pied.
Le cinq octobre de l’année 1923, son père meurt après avoir été malade trois jours. A l’âge de douze ans, Marcel n’a déjà plus de père. Le banquet du mariage prévu pour sa sœur Madeleine, servira pour l’enterrement et le mariage fut remis de huit jours.
En 1929, il quitte la maison familiale pour s’engager dans l’armée. Après cette période dans l’armée, il loge chez le général Pierret à Bruxelles avec pour tâche de s'occuper de son cheval.
Un beau jour de 1932, en promenant le cheval, il fit connaissance de Jeanne, sa future épouse. A chacune de leurs rencontres, elle donnait un sucre au cheval. Un jour, le général passant à cheval au même endroit, ne comprit pas pourquoi le cheval s'y était arrêté ! Un rendez-vous, sans le cheval, fut fixé à la ducasse de Sterrebeek et, en 1934, le 27 octobre précisément, Marcel et Jeanne se marièrent à la mairie puis à l'église Saint-Pancrace de Crainhem (Nom actuel : Kraainem). La maman de Marcel ira en train à Bruxelles pour le mariage et les parents de Jeanne tuèrent le cochon pour l'occasion. Le jeune couple va d'abord habiter rue des Palmiers à Wolumé-Saint-Pierre. Le 17 septembre 1935, leur première fille Denise naissait à la clinique Baron-Lambert d’Etterbeek. En 1936-37, ils déménagèrent au 185 Avenue des Volontaires à Etterbeek.
Le quinze février 1937, la mère de Marcel décède. Ils achètent une radio avec l’argent de l’héritage. Le dix janvier 1938, ils reviennent habiter à Ploegsteert, d’abord Rue du Romarin, puis dans la rue de Messines, six mois du côté gauche en direction de Messines, puis au n° 53 de l’autre côté.
Le onze janvier 1938, Marcel est nommé garde-champêtre à Ploegsteert. La déclaration de la guerre changera beaucoup de choses. En mai juin 1940, les Allemands avancent très vite et encerclent les Alliés qui se dirigent alors vers Dunkerque. Les Alliés arrivant à la frontière, pensent qu'ils sont près de Dunkerque et abandonnent alors leurs camions avec victuailles et matériel dans les bois de Ploegsteert. Les habitants, rationnés, allaient se servir de ces victuailles. Marcel et Jeanne ne pouvaient pas le faire car Marcel y était garde champêtre. Mais très vite, ils se ravisèrent et sont revenus avec du sucre semoule, une caisse remplie d'outils et du bully beef !
Dès Juillet 1940, Marcel adhéra au groupe "Voix du Nord", dont Madame Marie Boidin avait la direction pour la région. En 1941, Marcel et Jeanne hébergèrent des soldats anglais et Marcel les aida à franchir la frontière en vue de rejoindre l'Angleterre. Cette année-là, Marcel fut arrêté pour de petits faits et déporté à Merxplas près d'Anvers pendant 3 mois.
Marcel avait déjà une voiture à cette époque. Celle-ci fût démontée et cachée afin qu'elle ne soit pas réquisitionnée par les Allemands. C'est le Dr Vanandruel qui l'aura à prêter par la suite.
L'un des deux anglais hébergés, John Norgan, est arrêté en Belgique en 1943. Il dénonce tout le groupe, décrit tout dans les moindres détails, et, le matin du 29 Novembre 1943, Marcel est arrêté par la G.F.P. allemande de Courtrai (en même temps que tout le groupe français de la résistance Voix du Nord dans la région de Frelinghien).
Les Allemands sont rentrés par les portes de devant et de derrière. Leur fille Denise déjeunait alors dans la cuisine. Marcel niait tout, Jeanne se tenait devant la porte qui menait à la pièce de devant dans laquelle se trouvaient des documents compromettants. Denise pleurait et un soldat allemand demanda à ce qu'elle s'arrête de pleurer. Jeanne dit alors à sa fille : « Le soldat demande à ce que tu arrêtes de pleurer mais crie encore plus fort !!!»
Paul Rose se trouvait dans la même voiture. Marcel est d'abord passé par les les prisons de Courtrai, Bruges et Bruxelles.
Jeanne allait en vélo jusqu'à Ypres pour prendre le train pour se rendre à Courtrai ou à Bruges, afin de lui fournir du linge propre. Elle ne le verra jamais mais croisera un jour Paul Rose dans les couloirs sans oser le regarder ni lui parler, ce qui aurait pu lui causer sa perte. Elle a pu glisser la photo de la fille de Paul Rose dans un paquet de linge, qui était née une semaine après son arrestation. (Marcel certifiera, plus tard, que Paul eût la photo)
Après être passé par les prisons allemandes de Belgique, Marcel est ensuite déporté en Allemagne dans les camps de Gross Rosen, Gross Strélitz et Ravensbruck. Essentiellement des camps de travail. Deux à trois jours de train furent nécessaires pour faire le trajet Bruxelles – Gross Rosen.
En arrivant il y eut la sélection puis la douche. Ils devaient ensuite se mettre par ordre alphabétique su la place d'appels. Leur travail consistait à ramasser des pierres dans des carrières.
Le matin, alignés sur la place, il y avait l'appel et s'il manquait un seul homme, tous devaient rester debout pendant des heures sans bouger. A Gross Strelitz, Marcel était tourneur, André Dujardin l'a suivi au dernier moment. Paul Rose n'avait déjà plus la force de suivre. Il partit pour Dora où il trouva la mort.
Marcel trouva un seau et commença à peindre, un allemand lui a dit « Schön ! » . S'en suivirent de longs mois de travail et de famine. Le repas principal n'était qu'une soupe, plutôt un bouillon avec quelques morceaux de légumes et pommes de terre.
Pendant ce temps-là, Jeanne devait se débrouiller pour vivre. Elle faisait beaucoup de couture en confectionnant des manteaux avec des couvertures. Elle fraudait du tabac en vélo avec sa fille Denise. Un jour, elles se firent arrêter par les gendarmes. Jeanne dit alors à sa fill : « Roule vite jusqu'à la maison ». Jeanne dut suivre les gendarmes mais sera vite relâchée car elle n'avait rien sur elle. Denise avait tout le tabac sur son vélo.
Libéré en mai 1945, Marcel participe aux marches de la mort, dans la zone de jonction entre les armées américaines et russes et trouve un seau avec des œufs, affamé, il en prend un et manque de se faire abattre.
En suivant les Américains, avec ses camarades, ils découvrent un cheval abattu sur la route, le découpent et en cuisent un morceau dans une boîte à biscuits.
Il arrivera quelque temps après à Bruxelles en train en wagon à bestiaux, il était convaincu que son épouse était retournée chez ses parents, mais celle-ci n'avait jamais osé partir de Ploegsteert. Elle attendait la fin de la guerre. S'il ne rentrait pas, elle serait retournée chez ses parents. A Bruxelles, Marcel passa d'abord chez son beau-frère Louis et demanda des vêtements propres à sa belle-sœur Henriette (Tante Iette ou Teten)
Le 24 mai 1945, un voisin de Ploegsteert, Emile Debacq, entendit le nom de Marcel à la radio, (on diffusait alors les noms de toutes les personnes libérées et par quel train ils étaient rappatriés). On l'annonce dans un convoi arrivant à la gare de Courtrai. Jeanne et plusieurs personnes, dont Abel Rotsaert, sont montées dans plusieurs voitures et sont parties en direction de Courtrai. Il fallut acheter 21 tickets de quai. Marcel est descendu du train avec un chapeau et une veste en velours. Arrivés à Ploegsteert, avec un drapeau belge sur le capot d'une des voitures, une grande foule s'était réunie sur la place suite à son retour. Après 18 mois sans nouvelles, Marcel était enfin revenu mais avec de profonds traumatismes :
- déformation et raideur au coup de pied droit
- bronchite chronique
- dysenterie
- rhumatisme
Marcel pesait 105kg quand il est parti et 45kg en revenant.
Le père de Jeanne, Va, était malade et triste de savoir son gendre dans les camps de concentration et de savoir que sa fille était toute seule loin de chez lui. Il aura la chance de revoir Marcel juste avant qu’il ne décède le onze juillet 1945.
En rentrant des camps de concentration, Marcel et ses amis des camps s'étaient promis de se retrouver tous les ans et de faire un pèlerinage dans la première église qu'ils verraient en rentrant en Belgique. Ce pèlerinage s'est fait tous les jeudis de l'ascension en la Basilique de Chèvremont ! Et ce, jusqu’à ce qu'il n'y ait plus de survivants.
Jeanne a tellement eu peur pendant la guerre, notamment quand le soldat allemand Hans lui a couru après dans le chemin mitoyen, que son sang s'empoisonna. De ce fait, elle avait les doigts, les mains et les jambes gercées qu'elle devait constamment bander. Le Docteur Vanandruel lui dit alors que d'être enceinte l'aiderait à guérir. Elle le fut quand leur fille Josée est née en 1946, le 18 septembre. Trois autres enfants suivront mais ne vivront que quelques mois.
Le premier octobre de la même année, ils s’installent à l’Hostellerie de la Place. Jeanne, en cuisine, assurant les banquets de mariages, enterrements, la fête de Sainte-Cécile, etc... Marcel se lança également dans les assurances à ce moment-là.
Le sept avril 1947, il devient échevin de la commune de Ploegsteert. Le premier mai 1950, il rentre dans la Mutualité Chrétienne. En 1971, à l'âge de 60 ans, il décide de se retirer de tout. Il se sentait déjà diminué et voulait aussi profiter de ses 4 petits-enfants (à l'époque). En 1975, ils fêtent leurs 40 ans de mariage pendant 1 semaine.
Avec les années, la santé de Marcel déclina en raison des traumatismes subis pendant ses 18 mois de déportation. Souffrant notamment de diabète, il perdait la vue. Son épouse Jeanne apprit alors à conduire à plus de 60 ans.
Marcel s'en alla le dimanche 14 août 1977 à neuf heures à l'âge de 66 ans. Jeanne vécut jusqu'à 104 ans et 10 mois et s'en alla le 27 avril 2018.
Pierre MAES (Octobre 2020)
La grand-mère de Pïerre MAES, aujourd'hui disparue, connaissait la date exacte de la présence de Jim BLORE et John Robert NORGAN à son domicile. La reprise de toutes les dates et informations contenues dans les divers témoignages va nous permettre de la retrouver. Les éléments connus sont les suivants :
- Jim BLORE et Robert Norgan arrivent en juillet 1940 à KASTER après leur évasion de la colonne de prisonniers. (1)
- A deux reprises, ils quitteront KASTER pour être pris en charge par la Résistance française pour leur exfiltration. (2)
- John Robert NORGAN, interrogé en prison le 17 novembre 1950 par Le Commissaire belge BOISSIER de la Sureté d'Etat, déclare : "J'ai quitté deux fois la famille ALGOET, la première fois, c'est en août 1941, avec Blore..." (3) alors que Hélène BREL-DURNEZ dit dans ses mémoires "Au début de 1941...".(4)
- Marie BOIDIN précise qu'elle a hébergé les deux soldats de juillet à octobre 1941. (5)
- A la fin 1941, Edmond Marceau SMEDTS signale à Hélène DURNEZ qu'il existerait une nouvelle possibilité afin qu'ils puissent regagner l'Angleterre. (4)
- Cécile DEMAGT indique en novembre 1943 qu'elle avait perdu la trace de NORGAN depuis plus d'un an. (5)
- Interrogée par la gendarmerie d'ANZEGEM le 11 novembre 1950, Elza ALGOET déclare que son mari est resté chez elle sans interruption de juin 1940 à octobre 1943. (3)
Malheureusement, certaines dates sont imprécises et quelques déclarations sont hors du champ des possibilités, notamment la dernière. Il est nécessaire de reprendre le rapport d'évasion de Jim BLORE afin de retrouver la bonne chronologie.
ANNEE 1940 :
Jim BLORE et John Robert NORGAN arrivent à KASTER le 13 juillet 1940
ANNEE 1941 :
Première tentative : les deux soldats arrivent le 23 septembre 1941 chez Mme BREL à Warneton et repartent vers KASTER à la mi-octobre après avoir été hébergés une première fois chez Mr et Mme RONDELET à Comines-France. Cette tentative échoue car il était prévu de les convoyer vers ROUBAIX et le réseau ALI-FRANCE/ZERO-FRANCE de Joseph DUBAR. Or, la filière roubaisienne est partiellement coupée par de nombreuses arrestations. Jean Baptiste LEBAS, maire de Roubaix et membre de ce réseau, avait été arrêté le 2 septembre 1941. Plus généralement, dès 1942, les services secrets anglais demandent aux responsables des grands réseaux d'évasion de ne plus chercher à exfiltrer les simples soldats, mais en priorité les aviateurs dont la RAF a cruellement besoin. Une hiérarchie est alors instaurée : Aviateurs, personnel médical..... De nombreux soldats anglais resteront ainsi cachés jusqu'en 1944 en France et en Belgique.
Seconde tentative : les deux soldats arrivent de KASTER le 7 novembre 1941 en passant par Ploegsteert chez Mr et Mme DERAMAUX et, après un bref passage chez Mr et Mme DEMAGT, sont ensuite hébergés chez Marie BOIDIN pendant environ 15 jours. Cette seconde tentative ayant également échoué, le 23 novembre 1941, Jim BLORE demande à être hébergé chez Mme BREL. John Robert NORGAN repart seul à KASTER rejoindre sa fiancée ELSA.
ANNEE 1942 :
Jim BLORE dit être resté jusqu'au 23 septembre 1942 chez Mme BREL. C'est sa seule erreur de date. Hélène BREL est arrêtée le 20 juillet 1942 et il ne peut donc plus être présent à son domicile le 23 septembre. Jim BLORE quitte sa cachette après l'arrestation de son hébergeuse. Il est retrouvé dans le cimetière de Warneton par Paul ROSE qui l'emmène pour un deuxième séjour chez Mr et Mme RONDELET à Comines.
ANNEE 1943 :
Le 28 octobre 1943, la famille ALGOET et John Robert NORGAN sont arrêtés à KASTER par la GFP de Courtrai.
Paul ROSE est arrêté le 17 novembre 1943 également par les mêmes policiers.
Le lundi 29 novembre 1943, Jim Blore qui vit chez Mr et Mme RONDELET depuis plus de 15 mois, réussit à se cacher dans la propriété voisine alors que les policiers de cette même GFP de Courtrai cernent leur domicile pour les arrêter. C'est donc la deuxième fois qu'il échappe de peu à une arrestation. Cécile DEMAGT peut donc affirmer qu'elle n'avait plus de nouvelles de NORGAN depuis plus d'un an.
Dans son long témoignage (6), Hélène BREL-DURNEZ semble aussi confondre les deux périodes de passage à Warneton et Comines de Jim BLORE et John Robert NORGAN tout en donnant de précieuses informations sur des faits qui se sont déroulés avant et après son arrestation.
Marcel DERAMAUX est dans la liste des "Belgian Helpers", reconnu donc après guerre avec une reconnaissance anglaise. Son dossier d'enquête devrait être archivé aux USA à la NARA.
Les Archives Royales belges ont également des documents relatifs à ses actions de Résistance :
- Une attestation de Marcel MERCIER (SRA 10860) présentant notamment Paul ROSE comme étant le chef de groupe de Marcel DERAMAUX.
- Une déposition de Marcel DERAMAUX datée de mai 1949 indiquant que Paul ROSE était un ami et un cousin qui lui avait demandé de l’aider à introduire deux soldats anglais en France, dont Norgan. Lors de son emprisonnement à la prison de Courtrai, Paul ROSE aurait été reconnu par Norgan qui l’aurait dénoncé et qui aurait ensuite dénoncé toute la filière, dont monsieur DERAMAUX, alors arrêté fin novembre.
Pendant la première guerre mondiale, la ligne de front passant par Ploegsteert, sa famille, originaire de cette commune, avait été évacuée en France dans le Calvados et c'est à Caen que Paul Alphonse Désiré Rose est né le 13 décembre 1917. Il sera le troisième enfant d'une fratrie de quatre.
Il est nommé instituteur en 1937 à l'école du Bizet. Mobilisé en 1940, il est fait prisonnier et libéré à la fin de la même année. Il se marie le 3 janvier 1943 avec Esther VANDENBERGHE de Warneton. De cette union, naîtra Marie-Paule le 8 décembre 1943. Elle ne connaîtra jamais son père.
Dès 1941, il entre en Résistance et c'est dans un inventaire du CEGES (désormais CEGESOMA - Centre d'Etudes et de Documentation Guerre et Sociétés contemporaines à Bruxelles) (1) que des informations précises sont données sur l'engagement de Paul ROSE en Résistance
NOTE BIOGRAPHIQUE
Fernand, Victor, Julien STRUBBE est né à Ypres, le 17 juin 1921. Sentant venir la Guerre, il interrompt ses études et entre à l’armée le 1er septembre 1939 comme volontaire de carrière au 3ème régiment d’infanterie, dans le but de servir comme officier d’aviation. Le 10 mai 1940, sa préparation à l’examen de sous-officier n’étant pas terminée, il est évacué vers la France. ...../...... Fait prisonnier et interné en Allemagne, il sera renvoyé en Belgique à la fin juillet 1940. En août 1941, toujours désireux de servir dans l’aviation, il entre en contact avec Paul ROSE, indicatif 13.121, collaborateur de Georges MARC, agent Ali 99, secteur S 1, du réseau Ali-France. Le premier prétend pouvoir le faire passer en Angleterre mais lui demande de rester en Belgique et de collaborer au sein de ce service de renseignement où, dit-il, il sera plus utile. Il accepte, décide de rester en territoire occupé et, afin d’augmenter son rendement, quitte la maison paternelle d’Ypres pour se fixer à la côte, malgré qu’il soit dépourvu de l’autorisation exigée par les autorités occupantes. Il y travaillera sous l’indicatif S1.188.1
Fernand STRUBBE, Geheime Oorlog, 40/45, De Inlichtings- en Aktiediensten in België, Tielt, Lanoo, 1992.Traduction française par Michel TELLER: Services secrets belges, 1940-1945, Bruxelles, Union des Services Services de Renseignement et d’Action, 1997.
Dès cet instant il fournit des renseignements divers, dont un concernant un objectif situé à Ypres et qui sera bombardé par la R.A.F. le 28 octobre 1941. Georges MARC est arrêté en décembre 1941. En quête d’un autre moyen pour transmettre ses informations, STRUBBE rejoint en mars 1942 le service Luc-Marc avec Paul ROSE. Il deviendra VN/U et Paul ROSE VN/U/13. Il ne cesse d’élargir le champ de son activité et, à la Libération, il couvre, avec son groupe, la plus grande partie des deux Flandres et certains points des départements français du Nord et du Pas-de-Calais. Son groupe comprend alors quelque 265 chefs de section, agents, sous-agents, et indicateurs. Les renseignements qu’il transmet englobent toute l’activité ennemie, notamment : effectifs et identification des mouvements de troupes allemandes, renseignements sur l’activité des agents ennemis en territoire occupé, défenses côtières et intérieures, aérodromes, DCA, V 1, dépôts et ateliers de réparation, trafics routier, ferroviaire et fluvial, renseignements industriels et économiques, etc...
On sait grâce aux divers témoignages connus sur les modalités de prise en charge de Jim BLORE et de John Robert NORGAN que Paul ROSE fut très présent dans toutes les étapes de leur double passage en France.
- Grâce à Monsieur SOETE de Courtrai (2), la famille ALGOET entre en contact avec Hélène DURNEZ et Paul ROSE
- Il guide les deux soldats vers le domicile de son ami Marcel DERAMAUX
- On le trouve chez Marie BOIDIN afin de lui remettre des munitions pour l'arme cachée par Hélène DURNEZ
- Après l'arrestation d'Hélène DURNEZ, il retrouve Jim BLORE et le mène chez les RONDELET à Comines...etc...
On sait aussi, grâce à l'inventaire des archives cédées au CEGES, qu'il fut également très actif dans le réseau ALI-FRANCE puis dans le réseau VN/U. Ce réseau belge dirigé par Fernand STRUBBE aurait donc pu être démantelé après l'arrestation de Paul ROSE le 17 novembre 1943. Cela ne semble pas le cas puisque Fernand STRUBBE est encore très actif à la Libération en septembre 1944.
A n'en pas douter, Paul ROSE aura subi des interrogatoires extrêmement "musclés" de la part des policiers de la GFP de Courtrai et manifestement il ne parle pas, préservant ainsi la survie du réseau VN/U.
Dans un rapport du 30 juin 1948 envoyé au Consul de Grande Bretagne à Anvers, Maître Victor SABBE, avocat à Bruges, écrit : (un soin particulier a été pris pour reprendre exactement chaque mot et signe de ponctuation du document original tapé à la machine à écrire, en français)
"Monsieur le Consul Général,
J’ai bien reçu vos lettres du 25 juin avec les documents qui étaient joints et essayerai de vous donner satisfaction en faisant suivre ci-après un rapport sur les éléments essentiels de la cause.
Je ne suis personnellement pas intervenu dans le choix d’un conseil à Bruxelles et si les familles Algoet et Norgan ont consulté Me Etienne Van Parys, ce fut à leur propre initiative. Personnellement, je n’avais pas l’avantage d’avoir précédemment plaidé avec ce confrère, qui parait-il, serait cependant qualifié pour s’en occuper avec succès.
J’ai d’autre part examiné les documents que vous m’aviez transmis et en ferai le meilleur usage quoique la plupart de ces pièces émanant de la famille Norgan, ne sont que des témoignages dans sa propre cause.
Ci-après, le rapport dont question plus haut. Les trois éléments qui ont particulièrement retenu l’attention du conseil de guerre pour admettre la culpabilité de Norgan sont
1) Les témoignages de plusieurs rescapés (croix dans la marge et mot souligné) qui ont été confrontés par la Police Allemande avec Norgan, lors de leur arrestation et qu’ils prétendent qu’ils pourraient conclure des questions qui leur étaient posées par les allemands, ainsi que l’attitude de Norgan, que c’était ce dernier qui les avait dénoncés. Norgan semblait jouir d’un régime de faveur recevant des cigarettes et du chocolat des Allemands.
De plus la femme du nommé Roosen (Lire Paul Rose), qui de même que Norgan, a été conduite par les allemands par la route d’évasion pour indiquer les maisons où les anglais avaient passé et reconnaître les personnes y habitant, a prétendu que lors de la visite le même soir que son mari a pu faire chez elle, sous la garde des allemands il a prétendu que c’était Norgan qui avait dénoncé toute la chaîne. Ce qui est certain c’est que Norgan avait été amené par les allemands et qu’il a déclaré reconnaître les gens où il a été amené.
Le Conseil de guerre s’est appuyé également sur certains témoignages qui ont affirmé que Norgan a été amené dans la maison de certains détenus et qu’il y avait indiqué alors une cachette où précédemment on avait gardé des armes et des documents secrets.
A l’audience, les rescapés de camps de concentration tous sont venus témoigner qu’ils ne sauraient de science personnelle ou bien indirectement que le délateur avait été Norgan, ce qui a inévitablement impressionné le conseil de guerre.
C’est en se basant sur ces donnés et d’autres détails que le conseil de guerre a estimé posséder des éléments suffisants pour déclarer Norgan coupable et vu les conséquences graves de la dénonciation comme puisqu’il y a eu un nombre important dans les camps de concentration l’a condamné à la détention perpétuelle.
Comme vous le constaterez le rapport attire votre attention sur les éléments accusateurs alors qu’ils se trouvent au dossier de nombreuses élément qui permettront de néantir ou de mettre fortement en doute les accusations. C’est ainsi qu’il n’est pas exclu que la dénonciation a été faite par le nommé Roosen (Lire Paul ROSE), pour se disculper avait déclaré ensuite que c’était Norgan qui l’avait fait.
Ce qui pourrait prouver l’exactitude de cette hypothèse c’est puisque que Roosen (Lire Paul ROSE) connaissait bien la route sur la chaîne d’évasion alors que Norgan ne s’y serait jamais retrouvé. Sans doute, reste il que Norgan a fait devant la Police anglaise une déclaration, lors de son retour à la Libération, dont une copie se trouve au dossier dans laquelle il dit qu’il a accusé aux allemands avoir été caché chez trois personnes successivement dont il cite les prénoms, telle que la liste est rédigée, on peut considérer que cette déclaration a été faite spontanément et sans aucune nécessité. Mais Norgan explique que cette déclaration a été incomplète parce qu’on n’a pas interrogé sur les points, mais qu’il avait du compléter cette phrase en disant que les Allemands connaissaient déjà ces noms, il lui ont sous menace demandé de confirmer qu’il avait bien été caché là-bas..... (3)
Les erreurs de frappe présentes à de nombreux endroits du courrier de cet avocat, l'absence de ponctuation dans quelques paragraphes et quelques phrases mal construites laissent supposer que ce seul document en langue française retrouvé dans les Archives anglaises de Kew, est probablement une traduction du courrier original. L'original n'ayant pas été retrouvé dans les documents consultés.
Tout en prenant avec précaution les écrits de Maitre SABBE, il est clairement indiqué que la piste de la dénonciation par Paul ROSE n'aurait pas été explorée correctement lors du procès de John Robert NORGAN et laisse également sous-entendre que l'épouse de Paul ROSE aurait été emmenée avec son mari pour reconnaître la route d'évasion de John Robert Norgan. L'avocat savait-il qu'Esther ROSE-VANDENBERGHE était enceinte en novembre 1943; sa fille naîtra trois semaines plus tard. Pour rappel, Solange DESQUIENS qui attendait également un enfant, est arrêtée le 29 novembre puis libérée le 30 ou 31 novembre 1943. Elle sera à nouveau arrêtée, emprisonnée puis déportée deux mois seulement après la naissance de son second fils. Maître SABBE prétend également que NORGAN aurait été incapable de retrouver sa route sans une aide extérieure.
Dans ce rapport, on peut aussi noter que l'avocat oublie d'évoquer les causes de l'arrestation de Paul ROSE. Mais indirectement, il pointe sur un élément important du dossier. Comment comprendre que Paul ROSE ait été arrêté douze jours avant le reste du groupe d'aidants ?
Le 10 octobre 1948, Le Wing Commander Thomas TERRELL s'entretient avec John Robert NORGAN à la prison Saint-Gilles à Bruxelles où il est alors détenu. Son rapport d'entretien ne suit malheureusement pas l'ordre chronologique des déclarations, il mélange informations reçues le jour de cet entretien, informations recueillies le 6 février 1948 lors de l'interrogatoire de NORGAN par la police belge à Bruges et déclarations faites par celui-ci pendant son procès de mai 1948 à Bruges. De plus, TERRELL ne met pas en évidence quelques incohérences dans les déclarations de John Robert NORGAN, facilement identifiables par un reclassement par dates.
Dans son paragraphe sur le droit, qui précède celui les faits, il conteste d'abord la compétence du tribunal militaire de Bruges pour juger NORGAN et déclare qu'il aurait fallu le remettre aux autorités britanniques afin qu'il soit jugé, pour trahison, par la Cour centrale criminelle de Londres.
Dans son préambule sur les faits, TERRELL écrit :
"En 1943, à la suite d'une perquisition par les contrôleurs belges de l'alimentation, Norgan fut arrêté par les Allemands avec toute la famille Algoet, y compris sa fiancée, Elza. Quelques 3 semaines plus tard, la police allemande a rendu visite à de nombreux Belges et Français qui avaient à un moment ou à un autre caché ou logé Norgan et Blore. Avec la police, dans des voitures séparées se trouvaient Norgan et Paul Roose (maintenant mort). Il semble que Roose (Lire Paul ROSE) était pieds et poings liés mais Norgan était libre." (3)
A aucun moment dans son rapport, comme Maître SABBE, il ne s'étonnera de la date d'arrestation de Paul ROSE.
Lorsqu'il est interrogé dans les premiers jours qui ont suivi son arrestation, John Robert NORGAN indique qu'il ne dit pas qu'il est Anglais. Il répond aux Allemands en "patois" flamand qu'il connaît bien. Il déclare avoir été interrogé nuit et jour et refuse de donner les noms des membres du groupe de résistance; noms qui lui sont "fortement" demandés. Frappé, mal nourri, il finit pas dire qu'il est Anglais. On le laisse tranquille plusieurs jours puis on le matraque, on le bat de nouveau alors qu'il est attaché sur une chaise. Les menaces d'abattre Elza, s'il ne parlait pas, ont alors été proférées. Elle serait libérée s'il dénonçait ceux qui l'avaient aidé à s'échapper.
Les Allemands ont donc appris qu'il était fiancé avec Elza, ce que ne relève pas TERRELL. Il ne s'interroge pas non plus sur le fait que NORGAN ne fait pas prévaloir, dès son premier interrogatoire, son statut de prisonnier de guerre.
Ne pouvant plus supporter la tension, il accepte de parler et admet avoir donné les noms et adresses de trois personnes dont Madame BOIDIN et que ces personnes lui ont fourni un logement. Tout en ayant avoué avoir donné noms et adresses, NORGAN déclare en février 1948 : "Je n'ai pas dit aux Allemands que j'étais allé en France. Je ne sais pas qui a dit cela aux Allemands." (3)
Très mal en point, NORGAN dit qu'il est envoyé ensuite à "l'hôpital de la Gestapo" de Courtrai. On l'autorise alors à s'entretenir avec Elza ALGOET.
Aucune date n'est précisée mais les nombreuses déclarations qui suivront, seront liées au nom de Paul ROSE. Nous sommes donc au point bascule de l'enquête. Quel est également l' évènement qui a déclanché l'arrestation de Paul ROSE ?. Evènement qu'on peut situer pendant les journées d'interrogatoire où NORGAN a donné trois noms et adresses de ses aidants. Les policiers auraient-ils fait le lien avec d'autres arrestations survenues plus d'un an plus tôt dont notamment celles d'Hélène BREL-DURNEZ ? A ce jour, seul un nom sur les trois est connu , celui de Marie BOIDIN. Selon quelques témoignages recueillis en Belgique, il semble fort peu envisageable, voire impossible, comme ce fut le cas pour le réseau VN/U, que Paul ROSE ait pu dénoncer ensuite les autres membres du groupe qui avaient aidé BLORE et NORGAN.
Les déclarations continuent ensuite. Après avoir effectué un premier voyage avec les Allemands (comprendre un premier répérage des maisons d'hébergement), ceux-ci ont donné à NORGAN un repas décent et quatre cigarettes. Il raconte avoir rencontré un "Paul ROOSE" qui avait aidé au franchissement de la frontière. En février 1948, il déclare :
"Je suis allé deux fois avec les Allemands en France pour signaler les maisons où vivaient les familles. Paul Roose nous a accompagnés pour le deuxième voyage. On m’a demandé si je reconnaissais les suspects. J'ai répondu par l'affirmative." (3)
Il indique avoir été convoqué un jour au bureau de la prison et il y avait "Paul ROOSE", il est alors interrogé par SOUKEN aidé de VANDENBERGHE, le bourgmestre d'AUDENAARDE. Il nie avoir fait une quelconque déclaration sur l'une ou l'autre des personnes concernées tant que les Allemands ne lui aient pas donné les noms des personnes arrêtées. Alors que dans un autre paragraphe, TERRELL écrit :
"Le 10 octobre 1948, j'ai interviewé Norgan à la prison St Gilles de Bruxelles. Il m'a informé que Wiegand et Souken l'avaient approché avec des morceaux de papier avec des adresses dessus. Norgan a nié avoir été là. Les Allemands ont dit qu'ils avaient des preuves définitives, mais comme Norgan continuait à nier l'affaire, les Allemands l'ont battu avec des matraques aussi avec les poings et les pieds." (3)
Puis, NORGAN, croyant que toute l'affaire est perdue, fit une confession complète. Mais il nie avoir identifié les personnes concernées au bureau de police. Il est resté silencieux au moment où les personnes confrontées ont nié l'avoir logé. Comme on a pu le voir précédemment, Cécile DEMAGT témoigna après guerre qu'il fut loin d'être silencieux.
TERRELL note aussi dans son rapport :
"Il (Norgan) déclare que les informations obtenues de lui sont dues à la menace contre la famille Algoet et que son moral et sa résistance ont été réduits par le traitement des Allemands. ....". Quelques lignes plus loin, on trouve : "Il avoue avoir eu certains privilèges notamment celui de fumer et d'obtenir un entretien avec Elza. Il nie avoir fait un tour à vélo avec Souken. Il n'a pas fait de confession sous la menace que sa fiancée serait exécutée." (3)
TERRELL écrit dans ses CONCLUSIONS :
"J'estime qu'il est probable que Norgan fut responsable de l'arrestation des différents mentionnés. Qu'il ait été battu ou non, avant, est une question de preuve, mais je pense qu'il l'a probablement été. Il semblerait qu'une fois qu'il ait accepté de dénoncer les personnes qui l'avaient aidé, il ait été ami avec les Allemands et jouissait de certains privilèges (Note: une méthode allemande bien connue avec ceux qu'ils persuadaient de parler). Il a fait des déclarations contradictoires, mais elles peuvent s'expliquer que par la terreur et la peur des conséquences. C'est évidemment une personne peu intelligente et possédant un petit degré de maîtrise de soi (opinion personnelle). (3)
Qui a dénoncé Paul ROSE ? Pourquoi les Allemands l'ont-ils emmené pieds et poings liés le lundi 29 novembre 1943 ?
Paul ROSE et son épouse ont été reconnus comme "Belgian Helpers"; leurs dossiers archivés à la NARA, dès qu'ils seront disponibles, seront, à n'en point douter, de précieuses sources d'informations.
En décembre 1944, au camp de Gross-Rosen, il se liera d'amitié avec Léon HALKIN, Professeur et Historien belge. Le 8 février 1945, c'est ensemble qu'ils sont transférés en train pour le camp de concentration de Dora où ils arrivent le 11 février 1945. Paul Rose est enregistré sous le no 110241. Totalement épuisé, il meurt de dysenterie le 21 février 1945 dans le baraquement infirmerie 17. C'est Léon HALKIN qui apprendra la mort de Paul à sa famille, après avoir lu l'appel que cette dernière avait fait publier dans un journal pour le retrouver. Léon HALKIN a gardé contact toute sa vie avec la famille Rose (4). Le témoignage de Paul HALKIN a été publié par la Société d'Histoire de Comines-Warneton et de ses environs dans son tome 4 de 1974.(5)
10 : Gaston et Marie Rondelet
Marie RONDELET est née le 18 janvier 1887 à Comines dans le Nord de la France.
Elle était veuve en premières noces de Théodore Nicolas LAIR, mort pour la France à 31 ans le 16 juillet 1915 à l'ambulance d'Ecouvres en Meurthe et Moselle, de blesssures de guerre (1).
Théodore LAIR, né en 1884 à la Ferté-Vidame en Eure et Loir, était directeur d'usine à Sains du Nord. De ce premier mariage étaients nés Andrée (1908-1916) et Daniel (1910-2001), tous deux nés dans cette commune.
Elle se remarie le 3 décembre 1923 à Ascq dans le Nord avec Gaston RONDELET. André naîtra le 10 février 1927 de cette seconde union.
Gaston RONDELET est né le 28 décembre 1898 à Nomain dans le Nord. Il était chaudronnier à la Centrale électrique thermique de Comines-France. Ils ont tous deux, un dossier de Résistant au S.H.D de Vincennes. Ils sont homologués FFC (Réseau Zéro-France) et DIR. Le couple habitait au 192 de la rue de Wervicq à Comines. Mr et Mme Alphonse DEBREZ, le frère et la belle-soeur de Marie habitent à une maison de leur habitation.
Jim BLORE est donc hébergé depuis de nombreux mois chez eux lorsqu'ils sont arrêtés en ce lundi 29 novembre 1943, Hélène DURNEZ-BREL qui retrouve Marie RONDELET et Marie BOIDIN à la prison Saint-Gilles y apprend les évènements suivants et témoigne :
"......Jim qui se trouvait chez eux a une chance extraordinaire. André, le fils de Gaston RONDELET, revient de l'école (Erreur probable : les arrestations ont eu lieu tôt le matin, il ne pouvait revenir de l'école) . Il voit passer une première voiture dans laquelle il reconnaît Bob, suivie d'une seconde. Il devine ce qui se passe. Il court avertir ses parents du danger que court Jim qui a juste le temps de se réfugier dans la propriété contigüe à la leur, celle de la famille Debrez (***)......" .
"Chez Mr et Mme Rondelet à Comines-France, Bob a ramené de la cave des bouteilles de vin, voulant ainsi montrer à la Gestapo qu'il était tout à fait au courant des faits et gestes de la maison qui lui fût hospitalière...." (2)
Complétant ainsi d'autres témoignages déjà connus, il apparaîtrait ainsi assez nettement que l'attitude de John Robert Norgan fut donc loin d'être passive lors des arrestations. L'aide fournie à la G.F.P de Courtrai semble avoir été évidente. Hélène BREL ajoute l'information suivante pour le décès de Marie RONDELET au camp de concentration de Ravensbrück.
".....Les rations qu'on nous promettait abondantes sont réduites. Au revier, les malades ne sont pas soignés. On leur administre une piqûre de pétrole. C'est ainsi que décèdent Marie Rondelet et Mme Desmarets dont le fils était douanier à Warneton......" (2)
Tous les trois sont aussitôt conduits à la prison de Courtrai. Le 7 janvier 1944, le jeune André Rondelet est relâché, mais pas sa mère. Au terme de l’instruction de l’affaire qualifiée « d’espionnage et autres », les résistants et leurs dossiers sont remis à la compétence du tribunal militaire allemand de Bruges. Celui-ci refuse de juger l’affaire en Belgique et engage, le 21 mars 1944, une procédure de dessaisissement comme le permet le décret Nacht und Nebel de décembre 1941. Après accord de Bruxelles, Gaston Rondelet doit être déporté dans le plus grand secret vers les prisons de détention préventives du Reich dans l’attente de son jugement par une cour spéciale. Transféré à la prison Saint-Gilles de Bruxelles, il est déporté le 12 avril 1944 vers celle de Gross Strehlitz, en Silésie, après un bref passage par Cologne. Depuis mars 1944, les prisonniers « NN » de Belgique et du Nord de la France y sont rassemblés en attendant de comparaître devant le tribunal d’Oppeln.
En septembre 1944, la procédure « NN » est abrogée et les prisonniers de la forteresse de Gross Strehlitz remis à la Gestapo pour être internés dans un camp de concentration. Le 17 janvier 1945, Gaston Rondelet entre au camp de Gross Rosen. Mais, en raison de l’avancée de l’Armée rouge, le camp est évacué, le 8 février 1945, vers celui de Mittelbau-Dora. Trois jours plus tard, il est immatriculé avec le numéro 117278. Il est ensuite affecté au Kommando de travail d’Ellrich mais décède dès le 9 mars 1945 des suites de tuberculose. Sa femme Marie, déportée au camp de femmes de Ravensbrück a été gazée le 18 février 1945. (3)
Dans la liste des "French Helpers" de Comines-France, on trouve également :
- Madame Pélagie DEBREZ-DUPONT est l'épouse de Monsieur Adolphe Abel DEBREZ. Ils habitaient Route de Wervicq à Comines. Adolphe DEBREZ, né en 1897, (pour rappel : frère de Marie RONDELET-DEBREZ) , a été homologué F.F.C comme membre du même réseau que Gaston RONDELET son beau-frère, c'est à dire ZERO-FRANCE. Il s'agit de la famille mentionnée par Hélène BREL (***) et dont la maison sera également perquisitionnée le jour des arrestations.
- Victoria VANPRAET, citée par Jim BLORE (Voir son SPG) , est inscrite dans la liste avec l'adresse suivante "Energie Electrique Pavillon 5". Il s'agit d'une adresse de cette même cité qui fut appelée "Cité EDF" après la nationalisation des compagnies d'électricité. Reconnue par les Alliés avec le grade 5, Victoria VANPRAET semble donc avoir été plutôt active dans les filières d'évasion.
André RONDELET , le fils de Gaston et Marie a été reconnu comme Résistant F.F.I (Dossier au SHD de Vincennes : cote GR 16 P 519466)
11 : Hélène et Maurice Brel
Hélène BREL-DURNEZ est née à Comines-Belgique le 14 mars 1902, mariée à Maurice BREL, ils ont un fils Hector. C'est dans un long témoignage, déjà cité en sources de nombreuses fois, qu'on retrouve ses faits de Résistance ainsi que les évènements liés à l'hébergement de Jim BLORE et John Robert NORGAN.
Lors de leur premier séjour en France, Hélène BREL qui les mène de Warneton à Frelinghien chez Marie BOIDIN, doit passer la frontière gardée par des douaniers et des soldats allemandes; peut-être Frelinghien, le pont au-dessus de la Lys à Warneton avait été détruit en 1940, le pont du hameau du "Pont rouge" devait probablement être dans le même état, il ne restait peut-être plus que le pont de Frelinghien qui enjambait la rivière Lys, frontière entre la France et la Belgique (à vérifier). Hélène avait préalablement bien insisté sur les risques qu'ils encouraient à emmener cigarettes ou tabac. Généralement, le passage se faisait assez simplement sans contrôle des pièces d'identité. Or, malheureusement, ce jour-là, les cartes d'identité furent demandées, les porte-feuilles ouverts et l'argent que leur avait donné Hélène avait bien failli être saisi par les garde-frontières. Après s'être éloignés du poste, Jim et Hélène s'aperçurent que "Bob, blanc comme un linge", avait sur lui un demi-kilo de tabac. ". Selon Hélène BREL, "Jim lui a alors donné une de ses gifles qui aura sans doute marqué sa conduite ultérieure envers son camarade."
Lors du deuxième séjour, la seconde tentative d'évasion ayant également échoué, il est décidé de renvoyer les deux soldats dans la ferme de Mr et Mme ALGOET à Kaster, d'autant plus que le retour de Bob semble fortement souhaité. Jim demande alors à Hélène de l'accompagner dans le jardin de Mr et Mme RONDELET :
"....Tu vois la Lys. Plutôt que de retourner à Kaster, je préfère me noyer. Elza est fiancée à Bob. Nous vivons dans la même pièce. Elle me nargue sans cesse. Je suis de trop. Je gêne. J'ai supporté trop de rosseries que je n'endurerai pas...." (1)
Hélène consulte son mari. Il accepte. John Robert Norgan retourne seul à KASTER et Jim est hébergé à WARNETON. Une cachette est préparée à son attention dans la maison de Maurice et Hélène BREL, au-dessus des W.C. Lieu de repli rapide au cas où le magasin et le logement seraient perquisitionnés. Les relations entre les soldats semblent donc plutôt tendues en novembre 1941.
Les 24 et 28 juin 1941, la R.A.F tente de bombarder la Centrale électrique de Comines mais l'imprécision des bombardements fait de nombreuses victimes dans la rue d'Hurlupin qui est parallèle à l'axe de vol des bombardiers et située à plusieurs centaines de mètres de la centrale. Une nouvelle tentative aura lieu en mars 1942. Ce jour-là, un des chasseurs d'escorte des bombardiers, sera abattu entre Saint-Omer et Calais. Son jeune pilote, américain d'origine, le Flight Lieutenant William ASH, avait abandonné sa nationalité pour s'engager dans la Royal Canadian Air Force afin de combattre le totalitarisme. Il sera pris en charge par la Résistance française près de Calais mais sera finalement fait prisonnier quelques mois plus tard à Paris. Les Etats-Unis n'étaient pas encore en guerre au moment de son engagement alors que le Canada, membre du Commonwealth, était engagé avec l'Angleterre qui combattait seule contre l'Allemagne en 1942.)
On sait qu'Hélène BREL a de nombreux contacts avec des Résistants de Ploegsteert, Bruxelles, Comines et de la région lilloise. Outre l'aide aux soldats anglais, ses actions de Résistance semblent partagées entre deux réseaux de Résistance.
Selon Hélène BREL, les arrestations qui avaient eu lieu à Toufflers et à Roubaix avaient cassé une des lignes de transmission des renseignements recueillis par des membres du réseau belge Beaver-Baton vers le réseau Ali-France, d'origine belge. Ali-France étant organisé pour l'évasion mais aussi pour la prise en charge de courriers ou de documents par ses convoyeurs vers le sud de la France. En schématisant à l'excès l'organisation, la chaîne se continuait par la remise des courriers aux consuls britanniques en Espagne chargés de récupérer les évadés, pour être transmis au final aux services secrets britanniques à Londres. Toujours selon Hélène BREL, une des ces lignes passait par Warneton pour continuer par Comines et Roubaix. Hélène BREL avait pour mission de rétablir cette ligne (1). L'espionnage des installations militaires allemandes puis la transmission des informations étant vitals pour les Anglais, certains réseaux de Résistance, reconnus par Londres, disposaient de radios et d'opérateurs-radios formés en Angleterre et parachutés ensuite en France ou en Belgique. Il était alors plus simple, à priori, de recevoir ou d'envoyer des messages mais les risques d'arrestation liés à l'émission ou la réception de messages étaient souvent décuplés. Il n'est pas rare également de trouver des cas où des plans furent transportés vers l'Angleterre par les évadés eux-mêmes notamment par ceux qui partaient par bateaux de pêche ou vedettes de la Royal Navy depuis la Bretagne. (Cas de plans de grosses structures allemandes du Pas de Calais remis par l'aviateur-espion anglais MERLIN, cachés dans une ceinture à un autre aviateur s'embarquant sur le bateau de pêche le "Suzanne-Renée" depuis Camaret-sur-Mer)
En juillet 1942, La R.A.F n'ayant pas réussi à détruire la Centrale électrique de Comines- France, la Résistance avait décidé de la faire sauter (1). Des personnes spécialisées dans le sabotage devaient venir de Gand. Gaston Rondelet se chargerait de sécuriser l'entrée dans les bâtiments où il était chaudronnier.
Elle indique que son arrestation le 20 juillet de la même année compromet fortement le projet. Deux hommes de la Gestapo perquisitionnent le domicile sans toutefois trouver les documents compromettants utiles au sabotage de la Centrale; documents partiellement cachés dans le tiroir d'un meuble de la cuisine. Jim est caché au-dessus des toilettes et c'est Hector, son fils,après que sa mère ait été emmenée, qui lui fait quitter précipitamment le 2 de la rue d'Ypres à Warneton en lui faisant sauter le mur au fond du jardin. Accusée d'activité patriotique, elle est condamnée et finalement emprisonnée à Saint-Gilles à Bruxelles. Un carnet avec de nombreuses adresses, dont la sienne, avait été retrouvé par la Gestapo dans la poche d'un Résistant arrêté. Presque seize mois se passeront donc, avant que ne se déroulent les évènements liés à l'arrestation de John Robert NORGAN à KASTER.
Et c'est donc depuis sa cellule de Saint -Gilles à Bruxelles qu'elle apprend par le bouche à oreille, l'arrivée de Marie BOIDIN et Cécile DEMAGT dans la prison. Très rapidement, elle découvre ce qui s'est passé. Marie BOIDIN qu'elle réussit à rencontrer lors de corvées lui dit : " Ton compte est bon; Bob a tout révèlé lors de son interrogatoire. Il a dit que tu devais faire sauter la centrale de Comines-France. Il nous a tous dénoncés.....".(1) On peut ainsi penser que toutes les personnes qui avaient hébergé Jim BLORE et John Robert NORGAN avaient été extrêmement accueillantes et ne pouvaient qu'être en confiance avec ces deux soldats "amis" prenant aussi le risque de leur faire quelques confidences : caches d'armes, projets de sabotage....
Lors de la promenade quotidienne dans la cour de la prison, elle rencontre Alice ALGOET, la mère d'Elza, pour laquelle elle dit avoir eu le plus grand respect. Elle indique que cette dame déjà âgée était appréciée de toutes ses compagnes de détention. Elle y rencontre aussi Elza ALGOET qui réussit à lui glisser quelques mots : "Il ne faut pas t'en faire, on a tout avoué, on ne fusille plus les femmes." (1). Cette phrase déclenchera alors une tenace colère d'Hélène BREL envers la fiancée de "Bob" NORGAN.
Plusieurs fois, les trois femmes, Hélène, Cécile et Marie se rencontrèrent dans les couloirs amenant aux salles d'interrogatoire, feignant de ne pas se connaître. Un jeu bien orchestré par les policiers allemands dont elles ne furent probablement pas dupes. Pour imaginer un tel stratagème, les Allemands avaient donc fait le lien entre, d'une part, Marie BOIDIN et Cécile DEMAGT et d'autre part Hélène BREL, emprisonnée bien avant les deux habitantes de Frelinghien. Le policier commençait alors son interrogatoire : "Vous l'avez reconnue ? la dame dans le couloir " . Par le truchement de petits papiers (moyen dont on a déjà parlé dans le témoignage de Cécile DEMAGT), elle parvint à envoyer des messages à Paul ROSE, Marceau SMEDTS. Hélène réussit aussi à contacter son mari avant qu'il ne parte vers l'Allemagne. Etonnamment, elle dit apprendre en prison, la mort de Paul ROSE.
Déportée, Hélène BREL décrit cette période avec des phrases chocs et glaçantes:
"Les cadavres pourrissaient sur les lits."
"Nous avions toutes le crâne rasé."
"On assistait à des spectacles qui nous fendaient le coeur tel celui de l'assassinat des nouveau-nés dans le camp qu'on claquait contre les murs."
"Nous étions deshabillées, douchées et sous la risée des soldats, badigeonnées au pinceau avec un produit désinfectant."
"Il fallait avilir la femme, lui faire détester son corps."
"La vie se jouait à pile ou face par la fantaisie des S.S."
"En wagons à bestiaux de Ravensbrück à Mauthausen, la plupart des déportées étaient contaminées par la dysenterie. Le soldat S.S. avait la cruauté de renverser régulièrement par mégarde volontaire le récipient nauséabond."
"Nous étions des loques humaines."
"En plus des crimes, des morts, des maladies, de la famine, il y avait la prostitution."
"Pendant les marches forcées et hallucinantes entre les camps dans le froid et la neige, on tombe, on n'arrive pas à se relever et là, quelle galanterie ! Trois sommations et c'est la mort." (1)
C'est de cette manière qu'elle perd une compagne qui lui était très chère : Suzanne VANDURM. Ce fut aussi le cas pour son mari, le 10 janvier 1945 à Laband. Décès qu'elle apprendra à son retour des camps.
Rentrées de déportation, Hélène BREL et Marie BOIDIN trouvent "un peu raide" que John Robert NORGAN et Elza ALGOET se retrouvent à KASTER et elles ne se cachent pas pour le dire (Voir Article de presse). Nous sommes alors en 1946. Le mariage devait se faire à KASTER mais, souhaitant éviter les incidents, le couple part se marier à MANCHESTER. Monsieur et Madame NORGAN reviennent ensuite en Belgique. Les deux anciennes déportées aidées de Marceau SMEDTS contactent alors le Comité national de la Résistance, la police militaire et vont jusqu'à Lille pour se rendre dans ce qu'Hélène BREL appelle "Scotland Yard". Elles "vitupèrent" et constatent tristement que rien ne bouge sur leur tentative de procès que les deux femmes souhaitent intenter contre celui qu'elles appellent "renégat". Procès, disent-elles, pour venger ceux qui ne sont pas revenus.
Or, deux ans plus tard, en mai 1948, une Cour martiale belge se tient à Bruges pour juger John Robert NORGAN. A ce jour, il n'est pas possible de dire si la Justice belge décide de la tenue de ce procès sur les seules plaintes d'Hélène BREL, de Marie BOIDIN et de Marceau SMEDTS. Cécile DEMAGT, Marcel DERAMAUX, l'épouse de Paul ROSE ont-ils également agi ? Les Résistants de KASTER ont-ils également déposé plainte ? Alice et Camille ALGOET, les parents, sont morts en déportation. Comment ont réagi les frères d'Elza NORGAN-ALGOET ? Ont-ils été solidaires de leur soeur ?
La famille ALGOET habitait à KASTER, près de Courtrai au 7 de la Oude Pontstraat (La rue du Vieux Pont). Camille ALGOET né en 1874 et Alice VANDENDRIESSCHE née en 1881 se sont mariés à ANZEGEM le 20 février 1906. 5 enfants naquirent de cette union : Maria en 1907, Achille en 1909, Gérard en 1911, Julien en 1914 et Elza en 1917.
Dans la liste des "Belgian Helpers", on retrouve Camille et Alice de grade 5, Achille, Gérard et Julien de grade U.L of T. ("Unofficial Letter of Thanks", diplôme sans lettre signée du Président des Etats-Unis ou du Premier Ministre britannique) et Elza de grade Nil. La liste indique qu'elle a été dégradée de 5 en Nil tout en reconnaissant sa déportation puisque les autorités alliées lui ont versée une somme d'argent après guerre. Il est également noté que les diplômes et les lettres de remerciements des parents décédés en déportation ont été remis au fils aîné de la famille.
Camille Algoet est décédé à l'âge de 70 ans au camp de Gross-Rosen. Le 9 décembre 1945, une fiche reprise de celles remplies par les S.S en décembre 1944 pour leur sinistre décompte, donne les détails du décès de Camille ALGOET : décédé à 4 H 50 mn le 9 décembre 1944; causes du décès : dysenterie et faiblesse cardiaque. (1)
Alice est décédée, dans sa 65 ème année, le 11 mars 1945. Une fiche datée de 1960 émanant du Musée d'Etat d'Auschwitz (Origine Fichier de Mauthausen) indique que la "sénilité" est la cause de son décès au F.K.L de Mauthausen. (FrauenKonzentrationsLager : camp de concentration de femmes). Elle était arrivée de Ravensbrück le 7 mars 1945 soit seulement 4 jours avant qu'elle ne décède. (1)
Achille, le fils aïné a été reconnu, après guerre comme victime civile de la guerre et déporté politique pour les périodes suivantes :
- 1) du 17 juin 1940 au 19 juin 1941
- 2) du 15 juillet 1941 au 15 août 1941
- 3) du 30 septembre 1941 au 27 octobre 1943
Ces trois périodes sont relatives à l'aide fournie à des soldats anglais, puis du 28 octobre 1943 au 1er septembre 1944 pour être entré en Résistance civile et dans la clandestinité après l'arrestation de ses parents, de sa soeur Elza et de son fiancé. (1)
Il a donc réussi à s'échapper lorsque la G.F.P de Courtrai est arrivée au 7 de la OudePont Straat à Kaster en octobre 1943.
Pour Gérard et Julien ALGOET, à ce jour, les informations sont peu nombreuses. Il semblerait que Gérard ait réussi à s'enfuir. Hélène Brel donne des détails dans son témoignage : ".....Le 28 octobre 1943, Gérard, l'aîné des fils ALGOET (En fait le second) et Bob NORGAN sont occupés à bêcher une partie de terre derrière le logis. Gérard voit s'approcher la patrouille, tous deux se relèvent et fuient dans la direction du bois de Bassegem. Derrière eux, ils entendent claquer un coup de fusil. Bob sent le danger : un soldat allemand le mettait en joue ; il se rend. Le garde-champêtre Firmin Van der Stichele (déporté) a le temps d'avertir les parents Algoet qu'une menace sérieuse pèse sur eux mais ils ne veulent pas quitter la ferme. Camille Algoet et sa fille Elza sont arrêtés. Quelques jours plus tard, Alice Vandendriessche qui s'était cachée chez un membre de la famille, est également arrêtée. Dans la nuit de 1er au 2 novembre, les Allemands retournent à Kaster. Sont-ils à la recherche de Gérard Algoet ou bien se doutent-ils de la présence de Jim Blore ? Ils passent au peigne fin le bois de Bassegem. Ils se déguisent en travailleurs de la terre et se présentent chez les fermiers. L'un d'eux les prend pour des vagabonds et les chasse d'une façon assez cavelière : il est abattu sans autre forme de procès...." (2)
Elza a également été reconnue comme victime civile de la guerre et déportée politique pour les mêmes périodes que son frère Achille avant le 27 octobre 1943, puis comme déportée après cette date. Elle fut classée NN. Emprisonnée à Courtrai, elle est passée par la prison Saint-Gilles de Bruxelles, Gross-Strelitz et Mauthausen. Elle fut ensuite envoyée à Ravensbrück le 7 mars 1945, à la même date que sa maman. Elle a donc suivi le même chemin de déportation que toutes les autres femmes déportées dans le cadre de cette affaire. Ni Marie BOIDIN, ni Cécile DEMAGT ne la citent dans leurs témoignages, seule Hélène BREL-DURNEZ indique l'avoir rencontrée à Saint-Gilles à Bruxelles.
Un document des Archives Royales belges révèle qu'elle a été interrogée par la Gendarmerie d'Anzegem en novembre 1950, à la demande du Commissaire BOSSIER de la Sécurité de l'Etat belge, où elle déclare qu'elle a aidé à l'hébergement de Jim BLORE de juin 1940 à juillet 1941, date à laquelle il est parti vers la France. Elle ajoute que sa famille a hébergé, sans interruption, de juin 1940 à octobre 1943, le soldat anglais NORGAN John.
Cette déclaration est assez surprenante. Elle est contradictoire avec celle que fera son mari quelques jours plus tard, devant le même Commissaire BOSSIER qui interroge John Robert NORGAN dans sa cellule de la prison de Bruges où il purge sa peine et où il déclare, persiste et signe sur le fait qu'il a été hébergé dans la ferme de Mr et Mme ALGOET de juin 40 à octobre 1943, à l'exception des deux périodes où il s'est rendu en France avec Jim BLORE. Il ajoute que la seconde fois, il est revenu seul.
Pourquoi ne dit-elle plus la vérité en 1950 alors que deux ans plus tôt en 1948, les deux périodes d'absence de son mari avaient bien été repérées pendant le procès et rappelées par les avocats des familles NORGAN et ALGOET ?
Dans cette même déposition face à la Gendarmerie d'Anzegem, elle déclare qu'elle hébergeait depuis mars 1943, un réfractaire au travail obligatoire (S.T.O), originaire d'Anzegem : Hillonne Aimé ANCKAERT. Ce que confirmera également John Robert NORGAN.
Nous retrouverons également régulièrement son nom dans l'inventaire des Archives anglaises de KEW, notamment dans une lettre datant de 1948 où elle demande de l'aide au Premier Ministre Britannique après la condamnation de son mari par la Cour Martiale belge. Elza ALGOET née le 24 mai 1917 est décédée le 19 février 2015. Son avis de décès qu'il est possible de retrouver sur internet indique qu'elle était Veuve de son second mari, mais également Veuve de Mr Bob NORGAN.
13 : Les procès de Bruges, de Bruxelles et l'expulsion de John Robert NORGAN
Le premier procès de John Robert NORGAN s'est déroulé devant une Cour Militaire en avril, mai 1948 à Bruges. Il est arrivé libre à l'audience mais était déjà probablement en liberté conditionnelle depuis plusieurs mois. L'avocat qui le défend est Maître Etienne VAN PARYS de Bruxelles, un autre avocat Maître Victor SABBE de Bruges, probablement mandaté par l'Ambassadeur britannique ou le Consul britannique d'Anvers, est simple observateur des audiences de ce premier procès.
A ce jour, les archives de la justice militaire belge, relatives à la répression de la collaboration, ne sont pas déclassifiées. Pour les consulter, il est nécessaire d'initier une demande motivée auprès d'un Collège de Procureurs à Bruxelles. L 'analyse de ce dossier qui se voulait, en théorie, la plus large possible, se trouve donc partiellement et momentanément amputée d'éléments qui pourraient apporter de nouveaux éclairages. Des archives anglaises, américaines sont disponibles. Il aurait été également intéressant de consulter l'enquête initiale de la Sécurité de l'Etat belge qui aura duré près de deux ans. Quelles en furent les conclusions ? Conclusions qui ont amené à la tenue de cette Cour Militaire ?
Les seuls éléments à ma disposition sont ceux issus des informations retrouvées dans les documents des archives anglaises de KEW et qui en font référence et quelques articles de journaux. Cela me semble bien insuffisant pour répondre à plusieurs questions.
- Quels furent les chefs d'accusation ?
- Quelles furent toutes les personnes qui sont venus témoigner ? On sait que l'ancien policier secrétaire WEYGAND de la G.F.P a été appelé à témoigner. Marie BOIDIN aurait également été appelée à la barre. D'autres encore mais qui ?
- Quels furent les arguments développés par la défense de John Robert NORGAN ?
Un article d'un journal français (probablement la Voix du Nord) indique que les principaux accusateurs de John Robert Norgan sont Mme BREL de Warneton; Mme BOIDIN de Frelinghien et Mme Blanche RONDELET de Comines et plusieurs membres de leur famille. On sait aussi qu'au moins une autre personne non directement liée à cette affaire a témoigné. Il s'agit de l'épouse d'un fusillé qui avait eu John Robert Norgan comme compagnon de cellule.
Le 28 mai 1948, John Robert NORGAN fut jugé coupable de la mort de 8 personnes et condamné à la prison à vie. Il fit appel de ce jugement.
Sous l'impulsion de son frère et de députés de la région de Manchester, un comité de défense se mit alors très rapidement en place à Manchester pour tenter de le faire libérer.
D'autres députés britanniques s'inquiétèrent de la tenue d'un tel procès, déclarant que le tribunal militaire belge était incompétent à juger et à condamner un citoyen britannique, militaire au moment des faits. La présence de WEYGAND, ancien policier de la G.F.P de Courtrai, comme témoin au procès mit également le feu aux poudres....
Après le procès en appel , un journaliste belge de "La Libre Belgique" développe l'affaire NORGAN dans la première page de l'édition du vendredi 18 novembre 1949 :
Le cas de John NORGAN
Quarante associations d’anciens combattants britanniques réclament la libération de cet ancien « Tommy » condamné en Belgique à 20 ans de travaux forcés pour dénonciation de patriotes à l’ennemi. – Que faut-il penser de cette affaire ?
Nos lecteurs savent que l’on s’agite un peu, en Angleterre, autour du cas de John Norgan, ancien « Tommy » de l’armée Gort, condamné le 11 juillet dernier, par la Cour martiale belge, à vingt ans de travaux forcés, pour dénonciation de patriotes à l’ennemi, pendant l’occupation. Une récente dépêche de Londres nous a appris que quarante organisations d’anciens combattants anglais patronnent une pétition couverte déjà de 40 000 signatures – pas moins ! – tendant à obtenir, soit l’élargissement de Norgan, actuellement en Belgique, soit la révision de ce que le secrétaire d’une association d’anciens combattants britanniques a appelé « la sentence brutale (sic) rendue par un tribunal étranger à l’égard d’un concitoyen britannique qui a lutté courageusement pour son pays ». Enfin, nous savons qu’interrogé par un journaliste au sujet de cette affaire, un porte-parole du Foreign Office a déclaré : « Nous faisons tout ce que nous pouvons pour aider M. Norgan ».
Bien qu’aucun journal anglais sérieux n’ait jusqu’ici, à notre connaissance, résolument pris la défense de John Norgan, il est clair que, dans certains milieux de Grande Bretagne, on accorde un intérêt passionné au cas Norgan. Quarante mille personnes ont apposé leur signature au bas d’une pétition réclamant l’élargissement d’un citoyen britannique détenu en Belgique, sans avoir, des faits mis à charge du détenu et de la procédure qui aboutit, par deux fois, à sa condamnation, une connaissance approfondie. Quarante mille Anglais – au moins – semblent donc tenir pour certain que la « brutale » justice belge s’est rendue coupable d’un déni de justice à l’endroit d’un de leurs compatriotes. Tous les jours de cette semaine, des orateurs iront propager cette idée dans le Yorkshire, le Lancashire et les Midlands, où se tiendront des meetings, et il y a lieu de penser que des larmes sincères seront versées au cours de ces réunions. Dans quelques jours, il se peut que John Norgan soit représenté aux Anglais de la région de Manchester, son pays natal, comme une sorte de martyr national, victime de la justice barbare du peuple belge.
Il est temps, croyons-nous, d’examiner d’un peu plus près ce cas Norgan, de chercher à savoir s’il est digne, vraiment, de tant d’émotion et mérite une telle publicité de la part des anciens combattants britanniques.
Les premiers actes du drame
John Norgan, de Manchester, monté en Belgique avec les « British Expeditionary Forces » de Lord Gort, en mai 1940, fut fait prisonnier par les Allemands sur notre territoire et parvint à s’évader. Recueilli, hébergé, caché, par la famille Algoet de Caster (Flandre Occidentale), une honorable famille de cultivateurs, il tenta à deux reprises, pendant l’occupation de rejoindre l’Angleterre, avec la collaboration d’une série de patriotes belges et français appartenant à une ligne d’évasion ayant à son actif le passage clandestin le passage clandestin d’un grand nombre d’évadés de Belgique et de militaires alliés. La première tentative se situe en fin 1941, la seconde au début de 1942. Dans l’entretemps, John Norgan s’est fiancé à Elza Algoet, fille unique de la famille qui l’héberge. Le 27 octobre 1943, des contrôleurs – la fine fleur du Ravitaillement, responsables, en définitive, de tout ce drame – perquisitionnent à la ferme Algoet et découvrent des armes. Ils s’empressent de dénoncer les Algoet à la Gestapo, laquelle survient à la ferme, découvre Norgan dans la cave, par où il tnetait de s’échapper, découvrent les armes, arrêtent le père, la mère ainsi qu’Elsa Algoet et emmenèrent Norgan.
Tout le monde est emprisonné. Tragédie quotidienne, en Belgique, pendant l’occupation.
Un mois après ces arrestations, d’autres suivent. On découvre avec stupeur que les personnes arrêtées par les Allemands sont exactement celles qui ont aidé Norgan dans ses deux tentatives d’évasion. D’ailleurs, on aperçoit Norgan, dans le pays, avec la Gestapo. Une fois, il accompagne les policiers pour identifier les maisons. Une autre fois, il est présent, sous la garde d’Allemands, lorsqu’on arrête des patriotes. Quatorze d’entre eux sont arrêtés, qui appartiennent à la ligne d’évasion utilisée par Norgan dans ses deux tentatives. Tous sont emprisonnés, certains envoyés dans les camps de concentration. Huit d’entre eux ne reviendront pas.
Norgan achève la guerre dans un camp de prisonniers militaires, en Allemagne. Libéré par l’avance alliée, il est rapatrié en Grande-Bretagne, où le rejoint sa fiancée, Elza Algoet. Ils se marient. Le jeune ménage rentre à Caster. Alors des plaintes, qui avaient antérieurement été adressées à la justice militaire britannique, et classées sans suite, parviennent au Parquet militaire belge : Norgan est accusé d’avoir dénoncé des personnes, qui, par patriotisme, tentèrent de l’aider à regagner la Grande-Bretagne. L’instruction commence. On est au début d’avril 1946. Norgan est d’abord entendu par l’auditeur militaire d’Ypres, puis le dossier passe au parquet militaire de Bruges. Norgan, toutefois, est toujours laissé en liberté. Et il y a lieu de noter qu’il s’est toujours présenté aux convocations du Parquet. Pourtant les charges s’accumulent contre lui, et il ne l’ignore pas.
En revanche, l’instruction de la « brutale » justice belge est si minutieuse et patiente qu’elle dure exactement deux ans !
C’est en mars 1948, en effet, que Norgan comparaît devant le Conseil de guerre de Bruges, en prévenu libre.
Norgan devant les juges belges
Le 28 mai 1948, le Conseil de guerre de Bruges condamne Norgan à la détention perpétuelle et ordonne son arrestation immédiate. Le Conseil de guerre le déclare coupable de dénonciation de quatorze personnes, belges et françaises, avec, comme circonstance aggravante que huit d’entre elles sont mortes dans les camps de concentration ou ont disparu. Des témoignages accablants et dramatiques, s’ajoutant aux éléments recueillis par l’instruction, ont formé la conviction du Conseil de guerre. D’ailleurs, à certains stades de l’instruction, Norgan a reconnu les faits les plus graves portés à sa charge.
Norgan, emprisonné cette fois, se pourvoit en appel. Et l’affaire revient le 18 mai de cette année devant la Cour militaire, qui lui consacre huit audiences. Le 11 juillet, la Cour rend son arrêt : Norgan est déclaré coupable de dénonciations à l’ennemi. Toutefois, la Cour, écartant les cas douteux, ne veut le reconnaître coupable que de la mort ou de la disparition de cinq personnes (au lieu de huit, suivant le jugement du Conseil de guerre de Bruges). Tenant compte de certaines circonstances atténuantes, et notamment de sa captivité de guerre en Allemagne, la Cour réduit sa peine à vingt années de travaux forcés.
Pourtant, devant la Cour, Norgan avait adopté une nouvelle tactique de défense : il avait tout nié, variant sans fin dans ses déclarations, et revenant sur des aveux antérieurs, les uns complets, les autres réservés. Antérieurement, il avait prétendu avoir livré les patriotes belges sous la menace de la torture, ce qui n’avait pu être prouvé. Au contraire, lorsque Norgan était venu dans le pays avec la Gestapo pour identifier des maisons, on l’avait vu à l’aise avec les Allemands, recevant d’eux des cigarettes. Pour s’en expliquer, Norgan avait alors expliqué que les Allemands le traitaient déjà en prisonnier de guerre, ce qui était en contradiction avec les prétendues menaces de torture dans la crainte desquelles il aurait pu livrer ses bienfaiteurs à la police allemande. Enfin, Norgan n’avait pas manqué de se couvrir en affirmant qu’il avait livré des noms dans l’espoir de sauver sa fiancée et sa famille, arrêtées par sa faute.
Les raisons véritables pour lesquelles Norgan a trahi les patriotes qui l’avaient secouru ne sont jamais, en vérité, apparues très clairement. Dans la meilleure hypothèse, ce serait par faiblesse de caractère. Mais les conséquences d’une telle faiblesse sont trop lourdes pour que la Justice belge ait cru pouvoir l’absoudre : cinq morts et toute une élite de patriotes privés de leur liberté, torturés, déportés. Pour de pareils crimes, d’autres ont payé de leur vie devant un peloton d’exécution.
Proportions
Le 12 juillet, au lendemain de sa condamnation par la Cour militaire, on apprenait que Norgan se pourvoyait en cassation.
Sur quelles bases juridiques, nous l’ignorons. Question de compétence ? Il se peut, encore que ce moyen, soulevé devant la Cour - et non en première instance – n’ait pas été retenu. Quoiqu’il en soit, Norgan est actuellement encore au régime de la détention préventive puisqu’on attend l’arrêt de Cassation.
Le cas Norgan, qui agite en ce moment certains milieux d’anciens combattants britanniques et qui, sans doute, fait pleurer certains auditoires des Midlands, n’est au-……………… (Fin d’article manquante)
Le MONITEUR BELGE est l’organe officiel du pouvoir législatif (Parlement Belge), organe qui publie publiquement toutes les Lois, Arrêtés Royaux, Décrets, certaines condamnations, etc ..... ainsi que les éventuels changements qui y sont apportés. La parution dans le moniteur à foi de Loi juridiquement devant les tribunaux et autres. La parution du 25/26 mars 1950 , page 2327, fait état du jugement en appel et de l'arrêté de la Cour de Cassation.
APPEL CONTRE UN JUGEMENT DU 28 MAI 1948 RENDU PAR LE CONSEIL MILITAIRE DE BRUGGE (Bruges)
La Cour Militaire de BRUXELLES, Arrêté - Sentance du 11 JUILLET 1949 en présence du condamné NORGAN, John-Robert, né à MANCHESTER le 15 Avril 1918, domicilié à KASTER Oude Pontstraat 3, de nationalité Britannique pour avoir entre le 27 Octobre 1943 et le 15 Mars 1944 délatéré à l’ennemi neuf (9) personnes ce qui a occasionné pour eux une privation de liberté de plus de 1 mois et pour quatre (4) d’entre eux ayant entraîné soit la mort, soit une maladie définitive incurrable, soit un handicap physique complet perpétuel ne laissant plus la possibilité de travailler, soit une mutilation grave, soit entrainant la perte d’un organe, pour laquelle il a été condamné à vingt (20) ans de travaux forcés.
Il est constaté que le condamné est déchu à perpuité de ses droits civiques et autres en vertu de l’article 123, 6ieme du Code Pénal.
Le condamné va en Cassation contre ces jugements le 12 Juillet 1949. La cassation est rejetée par la Cour de Cassation par arrêté n° 371 en date du 27 Décembre 1949. Coûts: 946 Francs
Pour extrait conforme délivré par Monsieur l’Auditeur-Général auprès de la Cour Militaire de BRUXELLES le 18 Janvier 1950. Signature, le Greffier-Adjoint auprès de la Cour Militaire. (1)
En novembre 1951, sa demande de "Recours en grâce" est acceptée par le tout nouveau Roi Baudouin. John Robert NORGAN, son divorce d'avec Elza ALGOET presque prononcé, contresigne son avis d'expulsion et se prépare à quitter la prison de Bruges.
Le 20 décembre 1951, John Robert Norgan quitte la Belgique par le port d'Ostende, pour Douvres. L'idée de se rendre à Caster avant d'être expulsé vers l'Angleterre lui est fortement déconseillée par l'Ambassade britannique de Bruxelles et le Foreign Office qui craignaient pour sa sécurité. Son avocat le dissuade de cette visite qu'il souhaitait faire pour revoir ses deux enfants avant de quitter le sol belge.
Jim BLORE,compagnon d'infortune de John Robert NORGAN, malgré les pressions subies de la part des anciens combattants britanniques, ne signera pas la pétition qu'ils avaient initiée en 1949. Scandalisée par sa libération, Hélène BREL-DURNEZ quittera la Belgique.
14 : Inventaire des archives anglaises de KEW et extraits
Les Archives anglaises de KEW ont été classées par date. Le choix des passages est nécessairement un choix arbitraire de ma part. En raisons de leur importance, seuls les rapports de Maître Victor SABBE (Voir partie 9 : Paul ROSE) après le premier procès en avril-mai 1948 et ceux du Wing Commander Thomas TERRELL ont été repris dans leur quasi-totalité.
Quelques observations. Incontestablement, les deux députés de Manchester (HENDERSON et LEVER) ont eu un rôle important afin de mobiliser l'opinion britannique sur cette affaire sans oublier le rôle déterminant du frère aîné de John NORGAN, également initiateur des actions d'envergure menées par les anciens combattants britanniques.
On peut aussi contaster que beaucoup d'informations, notamment dans un des rapports du Commandant TERRELL, n'ont pas été vérifiées et que de nombreuses imprécisions, oublis ou erreurs ont été ainsi véhiculés lors de leurs transmissions aux autorités compétentes. Les trois arguments principaux qui prévalaient pour les défenseurs de Norgan c'est à dire les aveux sous la torture, un premier jugement britannique qui l'avait innocenté et le fait de ne pas comprendre que l'on puisse traiter ainsi un soldat d'un armée qui les avait libérer du régime nazi, ne laissaient aucune place disponible à une réflexion moins passionnelle sur les faits.
L'absence notoire d'articles de journaux sur cette affaire ne me parait pas significative pour des observations. Les documents retrouvés à Kew ont, semblent-ils, été versés dans les archives par les services ministériels et diplomatiques concernés par cette affaire.
D'autres archives doivent probablement exister en Angleterre sur cette affaire. On peut notamment penser à celles, très secrètes, du M.I. 5 ou du M.I. 6. Certains rapports,établis par ces services, commentant notamment le verdict d'un tribunal allemand siégeant à Arras pour des Résistants arrêtés dans le secteur de Saint-Omer, montrent bien que ces services étaient très bien renseignés. Un des condamnés par ce tribunal allemand, suivi à la trace, est très clairement suspecté, par le M.I 6, de dénonciations des membres de son groupe; avec preuves à l'appui. Il me paraît donc fort peu probable qu'au moins un de ces deux services n'ait pas entrepris une enquête lourde sur cette affaire. Le demande d'ouverture des archives militaires, dès 1946, a d'ailleurs été retrouvée dans un des courriers des archives de KEW. Il faut espérer qu'elles soient accessibles un jour.
25 avril 1948 : lettre d’Elza NORGAN-ALGOET à sa belle famille en Angleterre. Propos très acerbes contre les témoins, contre le témoignage de WEYGAND qui n’avait jamais hésité à torturer…/..Elle n’a pas vu son mari à la sortie du tribunal et pense qu’il a été arrêté…/..Achille s’occupait de leurs deux bébés…..
28 mai 1948 : lettre d’Elza NORGAN-ALGOET au Premier Ministre Britannique ATLEE. Le jour même où Robert NORGAN a été condamné à la prison à vie.
29 mai 1948 : lettre du frère de John Norgan à son employeur. Lettre manuscrite difficile à traduire. Robert Norgan, présent à Kaster, demande du temps à son employeur pour s’occuper de son frère. Propos de colère contre les Belges qui ont oublié que l’armée anglaise est venue les libérer.
1er juin 1948 : lettre du secrétariat du Premier Ministre Britannique à Mr McALPINE du Foreign Office. Suite à la lettre d’Elza NORGAN-ALGOET, ne connaissant rien du cas, le Premier Ministre Britannique demande au Foreign Office de lui répondre.
8 juin 1948 : Lettre de C.P. MAYHEW sous-secrétaire au parlement, au député de Manchester Joseph HENDERSON. C.P MAYHEW se pose la question : « Les documents que vous m’avez envoyés sont-ils utiles à la défense. Il faut voir ça avec le Consul Général à Anvers et les avocats. »
1er juin 1948 : lettre de Mr Innes (Peut-être de la British Legion) au député britannique THORNEYCROFT (Futur Chancelier de l’échiquier). Mr Innes plaide le cas de John Robert Norgan et demande à ce qu’il soit jugé par un tribunal britannique pour que le procès soit équitable.
3 juin 1948 : lettre de Mr Harold MacMillan (Premier Ministre de 1957 à 1963) alors député. Des électeurs de sa circonscription l’ont interpelé sur le cas Norgan et il demande des informations sur le sujet au Foreign Office.
4 juin 1948 : lettre du sous-secrétaire parlementaire MAYHEW au député de Manchester : Joseph HENDERSON .......« Je dois cependant souligner que, comme dans son pays, tous les hommes sont égaux devant la loi et que le fait que M. NORGAN soit un sujet britannique ne lui donne pas droit à un traitement différent de celui accordé à un ressortissant belge. Il serait intéressant de savoir si M. NORGAN ne s'est jamais adressé au consul de Sa Majesté pour demander de l'aide. »
7 juin 1948 : lettre de Mr HARRAD du parti travailliste à Manchester à Joseph HENDERSON, député, à la Chambre des Communes. Il liste les documents envoyés par le frère de John NORGAN et qu’il transmet à son tour : lettres, déclarations de protestations d’habitants de Kaster, notes manuscrites de John NORGAN….. Il termine par : « Si vous souhaitez que je m'occupe de cette affaire, faites-le moi savoir. Je pense que vous aurez beaucoup de mal à obtenir la libération de Norgan, mais cela améliorerait considérablement votre réputation si vous le pouviez. »
7 juin 1948 : seconde lettre de Mr HARRAD à Joseph HENDERSON à la Chambre des Communes. Le frère de John NORGAN lui a donné, en complément d’information, le nom du Major A.H. WILCOCKS qui connaissait bien Bob Norgan et qui était parfaitement au courant de l'héroïsme de la famille en Belgique. Il joint également des copies de trois documents : Copie d'une lettre invitant Mlle Elza ALGOET (Mme NORGAN) au Palais à BRUXELLES, Copie de la lettre du président des États-Unis d'Amérique. Copie de la lettre des gouvernements britannique et américain demandant à Mlle Algoet d'accepter la somme de 16 000 francs.
10 juin 1948 : lettre du Bureau des Affaires étrangères à E.G.SEBASTIAN du Consulat britannique d’ANVERS. « Nous avons eu un ou deux cas de sujets britanniques accusés sur le continent de délits similaires et quelle que soit la force des preuves contre l'accusé ou en possession de M.I.5, la position d'un agent consulaire dans de tels cas est très claire, à savoir que l'accusé doit être innocent jusqu'à ce qu'il ait été condamné et que la décision soit confirmée ou infirmée en appel et qu'il doit recevoir l'assistance normale que tout sujet britannique recevrait. Dans le cas de Norgan, vous l'avez fait en l'interrogeant et en vous assurant qu'il dispose d'un avocat compétent et la seule question qui semble se poser pour l'instant est celle de l'obtention d'une assistance juridique supplémentaire pour l'appel. C'est à Norgan et à sa femme de décider en première instance. Nous ne devrions entrer en ligne de compte que si vous nous signalez que le recours serait gravement compromis si cette assistance supplémentaire n'était pas fournie et que Norgan n'avait pas les moyens d'obtenir cette assistance lui-même. Dans ce cas, nous devrions nous adresser au Trésor et je pense que la décision serait que si vous étiez satisfait de la compétence de M. Sabbe, nous ne serions pas appelés à fournir la meilleure assistance juridique possible. Les députés s'intéressent déjà eux-mêmes à cette affaire et nous serons donc heureux de recevoir un rapport sur le procès dans lequel ...... (Suite de la lettre manquante) »
10 juin 1948 : lettre du Bureau des Affaires étrangères à Mme Elza NORGAN. « ….Je suis chargé par M. le Secrétaire Bevin de vous informer que l'ambassade de Sa Majesté à Bruxelles a été priée de fournir un rapport sur le cas de votre mari, et vous pouvez être assuré qu'il sera examiné avec soin. Il est entendu que votre mari a fait appel du verdict, et vous comprendrez que tant que le résultat n'est pas connu, il n'est pas possible pour le ministère des affaires étrangères de se prononcer. En attendant, vous devez rester en contact étroit avec le consul général de Sa Majesté à Anvers dans le district duquel vous résidez et suivre les conseils qu'il vous donne. »
30 juin 1948 : Rapport de Mr Victor SABBE, avocat du Consul Général de Grande Bretagne à Anvers. Rapport en français comportant de nombreuses erreurs de frappe de syntaxe et d’orthographe laissant à penser que ce courrier est une traduction . (Voir 9 : Paul ROSE)
29 août 1948 : lettre du frère de Robert NORGAN à un responsable syndical de Manchester. « ….Mon frère est venu en octobre dernier pour assister aux funérailles de notre père, je pense que vous vous souvenez peut-être de Bob Norgan. C'était un grand travailleur pour le mouvement syndical dans vos quartiers. À cette époque, j'ai eu l'occasion de regarder son passeport qui indiquait que sa nationalité était anglaise et comme pour .................." (pas d'autres pages)
22 juillet 1948 : Rapport du Wing Commander Thomas TERRELL.
"OPINION : Après avoir discuté de cette affaire avec Maître Gilon, Maître Sabbe, avocat du prisonnier, ainsi qu'avec M. Janssens, vice-consul à Anvers et M. Aus, consul à Bruxelles, je suis arrivé aux conclusions suivantes :
1) Que le premier procès à Bruges s'est déroulé dans des circonstances très préjudiciables pour le prisonnier.
2) Que des preuves ont été admises, qui seraient inadmissibles devant une cour de justice pénale britannique.
3) Qu'une poursuite a été envisagée en Angleterre mais abandonnée au motif qu'une condamnation était extrêmement improbable au vu des preuves disponibles.
4) Qu'un appel à Bruxelles sur les preuves est susceptible d'entraîner une réduction considérable de la peine ou même un acquittement complet.
5) Que Mme Norgan et sa famille sont tout à fait en mesure de supporter le coût immédiat et ont déjà versé à Maître Etienne Vanpuys (Lire VAN PARYS), avocat à Bruxelles 5 000 Frs.B. à titre de "provision". Je crois savoir qu'il existe une petite entreprise appartenant à la famille. Après avoir examiné cette affaire, j'estime qu'il convient de soulever en appel, ou avant l'appel, la question de la compétence du tribunal de Bruges ou, en l'occurrence, la compétence de tout tribunal belge pour juger les accusés des charges en question.
Pendant la période où les infractions présumées ont eu lieu, Norgan était un soldat des forces britanniques et, à ce titre, il était soumis à la loi sur l'armée et pouvait être jugé pour toute infraction par la cour martiale britannique. Il est soutenu que le prisonnier était à l'époque des infractions présumées, qu'il n'était pas soumis au blocage du droit belge et qu'il ne peut donc pas être jugé aujourd'hui par un tribunal belge.
Tout au long de la guerre et par la suite, les gouvernements alliés ont eu pour pratique invariable de remettre les personnes soumises au droit militaire, qui sont apprenties lorsqu'elles commettent des infractions civiles à l'étranger, aux autorités militaires ayant compétence sur l'individu en ce qui concerne son service militaire.
Je me réfère à l'accord signé le 11 mars 1946, articles 13, 14 et 24, qui se lit comme suit :
Article 13 : Les tribunaux et autorités britanniques ont une compétence pénale exclusive sur tous les membres des Forces britanniques et sur toutes les personnes de nationalité non belge n'appartenant pas à ces Forces qui accompagnent ces Forces et sont soumises au droit naval, militaire ou aérien britannique : à condition que les forces britanniques puissent choisir de ne pas assumer et exercer cette compétence dans un cas particulier, et dans ce cas elles en informent les autorités belges compétentes et transfèrent le membre des Forces ou toute autre personne à juger selon le droit belge.
Article 14 : Les autorités belges peuvent arrêter et détenir les personnes relevant de la compétence exclusive des tribunaux et autorités militaires britanniques pour des infractions ou suspicions d'infractions à la loi belge commises en dehors des camps, terrains et bâtiments réservés à leur usage exclusif, mais elles les remettent dès qu'il est établi qu'elles relèvent de cette compétence exclusive conformément aux dispositions de l'article 13 des présentes.
Article 24 : Les dispositions du présent traité remplaceront, à partir du 8 mai 1945, celles de l'accord relatif à l'administration civile et à la juridiction en territoire belge libéré par un corps expéditionnaire allié, figurant dans les notes échangées entre Monsieur Spaak et Monsieur Eden le 16 mai 1944, à condition que, en application du paragraphe 8-14 à l'exclusion de l'annexe auxdites notes du 16 mai 1944, (1) toute immunité de juridiction ou d'imposition en Belgique accordée aux personnes soumises à la loi de la marine, de l'armée de terre ou de l'aviation britanniques ou aux employés civils du gouvernement de Sa Majesté est réputée avoir été maintenue à partir du 8 mai 1945 jusqu'à la signature du présent traité (11)....../...... Bien qu'il soit convenu que les arrangements ne couvrent pas le moment où les infractions présumées ont été commises, il est soumis que cela démontre l'attitude des différents gouvernements pendant la période d'hostilités actives.
En fait, à tout moment, les militaires fautifs ont été jugés pour leurs infractions devant un tribunal militaire de leur propre service, à moins qu'au moment de la pendant la période des hostilités actives. En fait, en tout temps, des militaires qui ont fait une erreur ont été jugés pour leurs infractions devant un tribunal militaire de leurs propres services à moins qu'au moment de l'infraction pour une raison quelconque liée au service, ils aient été soumis au droit militaire d'une autre nation. Si un tribunal peut maintenant revendiquer sa compétence, il est soutenu qu'il doit s'agir d'une cour martiale britannique ou peut-être de la cour pénale centrale du Middlesex. Le jugement récent du Lord Justice Goddard concernant la Juridiction des Cours Martiales semble exclure les procédures de la cour martiale puisque le prisonnier a été démobilisé en 1945. Autant que je sache, il s'agit du premier cas du genre et il peut être jugé souhaitable d'avoir un autre avis des avocats de la Couronne avant que des mesures officielles ne soient prises."
16 août 1948 : lettre de J. Wallev ( ?) sur l’aspect juridique et politique de l’affaire. "....Il n'y a pas d'exposé clair des faits mais, brièvement, ils semblent être les suivants.
Norgan a participé au raid sur Dunkerque et a été apparemment fait prisonnier par les Allemands. Il a pris part à une évasion qui n'a été que partiellement réussie. Il a donc vécu en Belgique de 1940 à 1942 ou 1943. Apparemment, pendant cette période, les Allemands ont arrêté plusieurs personnes qui l'avaient aidé à s'évader en 1941. Probablement en 1943, il a été arrêté par les Allemands et il aurait révélé les noms de ceux qui l'ont aidé ; dix de ces personnes auraient été tuées par les Allemands. L'accusation dans le procès belge suggère que la responsabilité principale de ces morts repose sur les épaules de Norgan. C'est pour cette prétendue trahison qu'il a été jugé et condamné à la prison à vie par une cour martiale belge dont il a fait appel.
Le commandant d'escadre Terrell avait laissé entendre que la Cour belge n'était pas compétente, il se réfère par analogie au traité anglo-belge du 11 mars 1946, concernant les privilèges et facilités accordés aux forces britanniques en Belgique dans le cadre de l'occupation de l'Allemagne et de l'Autriche. Comme le commandant d'escadre Terrell l'admet lui-même, ce traité ne couvre pas le cas de Norgan car il ne s'applique pas à la période des infractions présumées de Norgan. La même remarque s'applique aux échanges de lettres entre Monsieur Spaaks et Monsieur Eden le 16 mai 1944. En outre, le traité de 1946 ne semble pas s'appliquer à un homme dans la position de Norgan. Au regard des infractions présumées, il était attaché aux forces britanniques en Belgique et certainement pas aux forces britanniques en relation avec l'occupation de l'Allemagne ou de l'Autriche.
La question de la compétence devient alors une question de principe général et elle ne constitue qu'une partie d'une politique. Même en supposant que les tribunaux militaires britanniques ou un autre tribunal du Royaume-Uni aient le droit de revendiquer une compétence exclusive sur Norgan, je pense que, dans les circonstances, il s'agit d'une revendication à laquelle on pourrait renoncer au motif que l'accusation de trahison contre les habitants locaux en Belgique est conforme à notre politique générale sur ce genre de questions, qui devraient être jugées par un tribunal belge. Cette question serait bien sûr du ressort des différents services du ministère des Affaires étrangères concernés d'un point de vue politique et du ministère de la Guerre.
Mais d'un point de vue purement juridique, je ne pense pas que la demande de compétence exclusive soit fondée. Au moment des faits allégués, Norgan ne servait en fait avec aucun corps de troupes, et les troupes stationnées dans le pays où il est censé avoir commis les infractions. Il s'agissait d'une personne qui s'était échappée et qui était en liberté en territoire occupé par l'ennemi. Dans ces circonstances, je pense qu'il serait erroné de dire que les tribunaux militaires britanniques avaient une compétence exclusive sur lui à l'époque. Toute la situation est très différente selon que les troupes sont stationnées sur le territoire d'un co-belligérant ou qu'elles sont en occupation d'un territoire ennemi.
Il me semble que nous devrions obtenir un exposé plus clair des faits de cette affaire, y compris un historique chronologique de la vie de Norgan à partir du moment où il est parti avec nos troupes pour l'expédition de Dunkerque. Ensuite, je pense qu'il faudrait consulter le Bureau de la guerre. Je ne sais pas dans quelle mesure des enquêtes ont été menées pour voir s'il existe des motifs pour lesquels nous pourrions demander au gouvernement belge de réduire la peine de prison à vie si elle est confirmée en appel. Il se peut que Norgan ait de bons états de service ou que M.I.5 ait des informations en sa possession qui justifieraient que le gouvernement de Sa Majesté demande aux Belges de réduire sa peine. Je pense au genre de démarches qui ont été faites au nom de M. Dace."
25 septembre 1948 : lettre du Consulat d’Anvers (E.G. SEBASTIAN) à l’avocat Maître Victor SABBE.
« ……Je vous remercie pour votre lettre de la 23ème ultime dans laquelle vous joignez une copie de votre lettre adressée à l'Auditeur général à Bruxelles. Il me semble que vous maintenez la thèse de l'incompétence du Conseil de guerre de Bruges. Permettez-moi toutefois de souligner que le paragraphe 3 de votre lettre présente apparemment, de par sa formulation, un point de vue opposé. Le texte semble en effet indiquer que, dans le cas de contraventions ou de crimes commis sur le territoire belge, les transgresseurs britanniques et leurs complices sur le territoire belge doivent être traduits devant les autorités militaires belges et cela semble être une contradiction pour le paragraphe suivant de votre lettre.
Puis-je vous demander d'avoir l'amabilité d'éclaircir ce point ?..... »
20 octobre 1948 : lettre du Foreign Office à l’Ambassade de Bruxelles
"....En attendant cet appel, ce monsieur a été transféré de Bruges à la prison de St Gilles, à Bruxelles. L'avocat de la défense a apparemment décidé de faire appel au motif que le cas de Norgan relève de l'accord de 1919 sur la compétence de leurs cours de justice respectives, dans le cadre des poursuites contre le personnel militaire. L'Auditorat général demande que nous fournissions une déclaration officielle indiquant que les autorités judiciaires britanniques ont décidé officiellement de ne pas poursuivre Norgan, et nous considérons que cette déclaration est nécessaire pour faire entrer l'affaire dans le cadre dudit accord.
Avant sa démobilisation en Grande-Bretagne, Norgan a été interrogé à plusieurs reprises, et les autorités belges ont recueilli ici des preuves considérables sur l'affaire. Après quelques hésitations, il a été décidé de ne pas le poursuivre en Grande-Bretagne, et il a été démobilisé. Il est alors rentré en Belgique où il a épousé la fille du fermier qui l'avait hébergé. Ses parents étaient morts en internement en Allemagne.
Dès le début, la défense de Norgan était qu'il avait donné des informations sous la torture des Allemands. Voici une copie de la communication du service compétent du ministère de la Guerre, datée du 13 mai 1947, qui a été transmise à la Sureté de l'État :
"Cette affaire a été abandonnée par manque de preuves. Elle a été soumise en mai 1946 au Juge Avocat Général qui a décidé qu'une défense selon laquelle toute information que Norgan aurait pu donner à l'ennemi n'aurait pas été donnée volontairement mais extraite par la force physique, ne pouvait être réfutée sur la base des preuves disponibles. Depuis, Norgan est devenu un civil et toute poursuite devrait être entreprise par le directeur des poursuites publiques. Cette affaire ne lui a jamais été soumise pour diverses raisons, parmi lesquelles :
(a) l'objection du JAG s'appliquerait également, sinon plus fortement, dans un tribunal civil.
(b) que tous les témoins devraient être amenés dans son pays et
(c) que Norgan lui-même n'a pas été soumis à la juridiction de nos tribunaux".
Après le retour de Norgan en Belgique, il a été arrêté et libéré sous caution. Cependant, lors de sa condamnation en juin dernier, il a été placé en détention et, à la demande de l'avocat de la défense, Maître Sabbe, nous avons demandé à l'Auditeur général pourquoi le plaidoyer de Norgan d'agir sous la torture n'a pas été pris en considération, et il nous a été répondu que devant le tribunal, il a renoncé à ce plaidoyer et l'a remplacé par celui d'avoir donné des informations aux Allemands sur les promesses de libération de sa fiancée et de son avenir beaux-parents, qui avaient été arrêtés en même temps que lui.
Cela a donné un tout autre aspect à l'affaire et nous vous saurions gré de bien vouloir faire face aux derniers développements et de nous faire savoir, dès que possible, quelle réponse donner à l'Auditeur général......."
16 octobre 1948 Rapport de Thomas TERRELL Wing Commander
"OPINION,
Suite à mon avis du 22 juillet 1948, j'ai eu l'occasion de consulter l'avocat de l'accusé, Me. Sabbe de Bruges et Me. Van Parys de Bruxelles.
J'ai également eu un entretien personnel le 10 octobre avec Norgan à la prison de St-Gilles, où il est actuellement détenu.
SUR LE DROIT :
Le 15 avril 1916 et le 10 mars 1919, des accords entre les gouvernements britannique et belge ont été conclus, aux termes desquels les soldats en service de l'une ou l'autre nation devaient être jugés par les tribunaux compétents ayant juridiction sur eux en leur qualité de soldats, quel que soit le lieu où l'infraction a été commise, et ces accords n'ayant été annulés à aucun moment semblent toujours en vigueur. D'autres accords dans le même sens ont été conclus en 1944 et 1946. Les infractions présumées ont été commises en 1943 et, à cette époque, Norgan était un soldat servant sous le numéro 3 450 421 Soldat R. Norgan, fusiliers du Lancashire et au moment de sa capture par les Allemands. De plus, il existait un accord général entre les Alliés pendant toute la guerre et à la fin de celle-ci, selon lequel les délinquants devaient être jugés par les tribunaux ayant juridiction sur la force qu'ils servaient au moment de l'infraction.
Pour ces raisons, je suis d'avis que le tribunal militaire de Bruges n'était pas compétent pour juger Norgan et qu'il aurait fallu le remettre aux autorités britanniques pour qu'il soit jugé pour trahison à la Cour Centrale Criminelle de Londres sous les chefs d'accusation 25 Edw, 3 at 3 et 35 Men. SC. 2 (voir Archbold 1943 ed.P. 1056-1058 et Joyce V. Directeur des Public Poursuites 1946 A.C. 34, etc.... Un procès en cour martiale ne serait pas possible car plus de trois ans se sont écoulés depuis l'infraction présumée (voir 5 ec. 151 AA) ; l'accusé a également le droit d'être inculpé en vertu de la loi de 1940 sur la trahison S.L. 25 Edw. 3 st. S.C. 2 & 35 Me. ' C2
LES FAITS.
Il est allégué par l'accusation que Norgan ayant été logé et caché par diverses personnes en Belgique et en France avec des dispositions prises pour son rapatriement en Angleterre, est finalement retourné à sa cachette d'origine à Caster, les arrangements pour son évasion ayant échoué ou bien ne pas rencontrer ses désirs. Son compagnon en détresse, un soldat nommé Jim BLORE, a finalement été rapatrié par le Mouvement de la Résistance. À toutes les époques des faits, Norgan était fiancé à Elza Algoet à Caster, la fille de la famille Algoet qui l'a cachée. Cela s'est produit en 1941. En tout temps, Norgan était un soldat de l'armée britannique. En 1943, à la suite d'une perquisition par les contrôleurs belges de l'alimentation, Norgan fut arrêté par les Allemands avec toute la famille Algoet, y compris sa fiancée, Elza.
Quelques 3 semaines plus tard, la police allemande a rendu visite à de nombreux Belges et France qui avaient un moment ou un caché ou logé Norgan et Blore. Avec la police, dans des voitures séparées se trouvaient Norgan et Paul Roose (maintenant mort). Il semble que Roose (Paul ROSE) était pieds et poings liés mais Norgan était libre. Selon les témoins: Confronté aux différents suspects, selon eux, Norgan fumant et mangeant du chocolat les désignait non seulement comme étant les personnes qui l'avaient aidé mais allant même jusqu'à montrer aux Allemands le tiroir où se trouvait un revolver qui y était normalement conservé. Il n'y a cependant pas été trouvé.
Plus tard, certains suspects ont été confrontés à Norgan dans la prison du bureau de police et là, ils déclarent que Norgan semblait en excellents termes avec les Allemands, fumant et se servant des cigarettes et riant là quand les accusés étaient frappés. Peu de temps après l'arrestation de ces personnes, Elza Algoet (la fiancée) et ses parents ont été libérés de prison, bien qu'il semblerait plus tard arrêté de nouveau. Il est allégué qu'à la suite des admissions de Norgan, quelque 12 personnes ont été arrêtées, dont 8 sont mortes en prison ou dans des camps de concentration.
Les principaux témoins à charge, à savoir Mme Boidin et le chef de la police allemande WIEGAND, sont très suspects. Mme BOIDIN était soupçonnée de ne pas être un véritable membre de la Résistance et il est curieux que les preuves démontrent qu'elle a été, peu après les incidents évoqués, libérée de prison et son poste de radio lui a été rendu. Au moment de son témoignage, Wiegand attendait lui-même, être jugé pour crimes de guerre. Cependant, d'autres personnes arrêtées sur lesquelles aucun soupçon ne repose ont témoigné que les arrestations ont été effectuées en présence de Norgan et qu'il a apporté à la police toute l'aide nécessaire pour identifier les personnes et les maisons dans lesquelles il était logé.
Certains témoins suggèrent qu'Elza Algoet et Norgan étaient conjointement responsables des dénonciations. Ceci est, dans une certaine mesure confirmée avec une certaine écoute, par une Helene DURNEZ qui raconte une conversation avec Elza Algoet en prison quand Elza lui aurait dit qu'elle et Norgan avaient dénoncé tout le monde afin d'en faire une grande affaire afin que Les Allemands n'auraient pas le temps d'essayer des thèmes que la guerre mondiale serait terminée dans deux mois. Il a été démenti par Wiegand et d'autres que Norgan a même été battu ou mis dans la peur pour obtenir ses aveux, mais au contraire il les a donnés librement et sans pression. Il y a une grande quantité de preuves par ouï-dire que l'impression générale parmi toutes les personnes concernées par l'affaire était que les arrestations étaient uniquement infligées à Norgan et à personne d'autre.
Norgan lui-même a fait plusieurs déclarations qui portaient beaucoup sur des détails importants. Les premières déclarations semblent avoir été faites au commandant du Sgt Major G.Y White du S.I.B le 30 août 1945 et ont été faites sous la prudence habituelle. Dans ce Norgan raconte très bien l'histoire de ses aventures avant les épisodes en revue. Après son arrestation, il déclare avoir été interrogé du matin au soir sur les noms des membres du mouvement de résistance et Norgan a refusé de répondre. Il déclare qu'ils ne savaient pas qu'il était anglais à l'époque (je peux bien le croire car Norgan parle bien un "patois" flamand). En dernier lieu, Norgan admit qu'il était anglais. Il déclare avoir été frappé à plusieurs reprises et nourri de mauvais pain et de chou salé. Quand les Allemands ont appris qu'il était Anglais, ils l'ont laissé tranquille pendant quelques jours. Puis ils l'ont revu et sur son refus de dénoncer ceux qui l'avaient aidé à s'échapper, les Allemands l'ont battu. Ils l'ont attaché à une chaise et l'ont battu avec une corde. Ils l'ont battu sur la tête avec des matraques en caoutchouc et il est devenu presque fou. Ils lui ont dit qu' Elza Algoet serait abattue s'il ne parlait pas qu'elle serait libérée s'il avouait.
Il ne pouvait plus supporter la tension et a accepté de se confesser. Il déclare qu'il était si malade après les coups qu'il a été conduit à l'hôpital de la Gestapo de Courtrai. Il a eu un entretien avec Elza mais ne lui a pas parlé des coups. Il admet avoir dit aux Allemands les noms et adresses de 3 personnes dont Mme Boidin et admettre que ces personnes lui avaient fourni un logement. Il nie avoir dit quoi que ce soit face aux gens chez eux. Après avoir été en voyage avec les Allemands, ils lui ont donné son premier repas décent et quatre cigarettes.
Norgan nie avoir identifié les personnes concernées au bureau de police. Il est resté silencieux. Les personnes confrontées ont nié l’avoir logé. Il déclare que les informations obtenues de lui sont dues à la menace contre la famille Algoet et que son moral et sa résistance ont été réduits par le traitement des Allemands. Il pense que le chef Weygand l'a battu. Le bourgmestre d'Audenaerde (un traître connu) faisait office d'interprète.
Le 6 fév. 1948 Norgan est interrogé par la police judiciaire à Bruges. "Je suis allé deux fois avec les Allemands en France pour signaler les maisons où vivaient les familles. Paul Roose nous a accompagnés pour le deuxième voyage. On m’a demandé si je reconnaissais les suspects. J'ai répondu par l'affirmative.".
«J'ai été confronté aux mêmes personnes au bureau de police de Courtrai».
"Je n'ai pas dit aux Allemands que j'étais allé en France. Je ne sais pas qui a dit cela aux Allemands."
Après l'interrogatoire de Wiegand par la police belge le 7 février. 1948, Norgan fit une déclaration confirmant sa déclaration précédente et déclarant qu'il n'avait jamais donné volontairement aucune information aux Allemands.
S'il était d'accord avec certains faits, c'était suite aux aveux d'autrui et aux coups et menaces. Il nie avoir fait une quelconque déclaration à Courtrai concernant les personnes qui l'avaient logé. Là, il raconte avoir rencontré un Paul Roose qui avait aidé au franchissement de la frontière française.
Le lendemain, il a été convoqué au bureau de la prison et il y avait Paul Roose. Norgan a été interrogé par un Soukens (un témoin). Soukens a mentionné plusieurs personnes (arrêtées plus tard). Norgan a nié avoir signalé diverses maisons aux Allemands, alors qu'il était dans la voiture. Il déclare que les Allemands assistés du traître Vandenberghe (bourgmestre d'Audenaerde) l'y conduisirent. Face aux personnes concernées. Plus tard confronté à Mme Boidin, Norgan avoue avoir été contraint de la reconnaître, Mme Boidin l'a insulté.
Il nie avoir fait aucune déclaration sur l'une ou l'autre des personnes concernées tant que les Allemands ne lui ont pas donné les noms des personnes arrêtées. Puis Norgan, croyant que toute l'affaire était perdue, fit une confession complète. Il avoue avoir eu certains privilèges notamment celui de fumer et un entretien avec Elza. Il nie avoir fait un tour à vélo avec Soukens. Il n'a pas fait de confession sous la menace que sa fiancée serait exécutée. Lorsqu'il accompagnait les Allemands dans la voiture, il avait les mains et les pieds liés.
Le 10 octobre 1948, j'ai interviewé Norgan à la prison St Gilles de Bruxelles. Il m'a informé que Wiegand et Souken l'avaient approché avec des morceaux de papier avec des adresses dessus. Norgan a nié avoir été là. Les Allemands ont dit qu'ils avaient des preuves définitives, mais comme Norgan continuait à nier l'affaire, les Allemands l'ont battu avec des matraques aussi avec les poings et les pieds. Il déclare qu'il a eu alors en conséquence une perte de connaissance et qu'il a reçu un coup de pied dans les testicules avec pour résultat qu'ils ont enflé. Il dit qu'il était lié à une chaise pendant le passage à tabac. Il nie avoir eu un privilège spécial en prison. Il était soldat du Lancashire Fusiliers sous le n ° 3 405 421 attaché au Black Watch et démobilisé le 7 mai 1946. Il nie avoir ri des personnes qui les ont identifiées. Il s'est finalement évadé d'une prison de Haute-Silésie 7 jours avant la capitulation.
CONCLUSIONS
J'estime qu'il est probable que Norgan était responsable de l'arrestation des différents mentionnés. Qu'il ait été battu à l'avance ou non est une question de preuve, mais je pense qu'il l'était probablement. Il semblerait qu'une fois accepté de dénoncer les personnes qui l'avaient aidé, il était ami avec les Allemands et jouissait de certains privilèges (Note: une méthode allemande bien connue avec ceux qu'ils persuadaient de parler). Il a fait des déclarations contradictoires, mais elles peuvent s'expliquer par la terreur et la peur des conséquences. C'est évidemment une personne peu intelligente et possédant un petit degré de maîtrise de soi (intelligence personnelle)
A) La preuve par ouï-dire a été admise ainsi que l'opinion des différents témoins. B) Il y avait beaucoup de préjudices locaux et l'ensemble de la preuve est manifestement biaisé par cela.
C) Norgan n'a pas du tout été autorisé à témoigner et on lui a simplement demandé ce qu'il avait à dire.
D) Je suis d'avis qu'au vu de la preuve par ouï-dire recevable et de l'impossibilité pour Norgan de témoigner à sa place, que les changements devant la cour d'appel de Bruxelles sont négligeables soit d'acquittement, soit de réduction de peine (opinion partagée par Me Van Parys briefé pour sa défense, Me Sabbe qui a comparu à Bruges adopte cependant une vision plus optimiste)
E) J'estime que la Cour n'était pas compétente au vu des faits exposés ci-dessus (voir droit). Le meilleur plan serait peut-être d'approcher les autorités belges sur la question de la compétence et de transférer le procès au tribunal pénal central de Londres. Il sera nécessaire de montrer aux Belges que si nous contestons sa compétence dans cette affaire, que nous nous efforcerons de passer au crible l'affaire devant un tribunal compétent et sur la base des preuves dont je dispose, je pense qu'un jury pourrait condamner."
18 ……. 1948 Lettre du frère aîné de John NORGAN au député Leslie LEVER de Manchester. Plaidoyer pour la libération de son frère cadet.
12 janvier 1951 Lettre de C.J. HANCOCK de l’Ambassade de Brussels à C.G. Kemball Esq. ( Consular Department, Foreign Office) « ………..Haigh a poursuivi en disant que nous avions néanmoins reçu l'instruction de soutenir l'appel à la clémence. Nous croyons savoir que l'on a beaucoup parlé ces derniers temps et que la grâce de ce type de délinquants a été accordée en Belgique. Notre conviction est qu'au moment où Norgan a commis les actes dont il a été condamné, il était au pouvoir d'un ennemi brutal et avait une crainte raisonnable de violence et de mauvais traitements envers lui-même, sa fiancée et sa famille, au point de briser la volonté d'un homme de courage et de résistance ordinaires. Le baron de Gruben n'a fait aucun commentaire, mais s'est engagé à nous faire part de l'avis des autorités belges en temps utile……. »
28 mars 1951 Lettre d’Anthony HAIGH de l’Ambassade de Brussels à C.G. Kemball Esq. ( Consular Department, Foreign Office) « ……….. l y a cependant eu des développements au cours des derniers jours qui nous ont semblé donner une ouverture raisonnable. Trois des principaux criminels de guerre belges, dont un est condamné à mort, ont été libérés, étant entendu qu'ils devaient quitter le pays. En outre, Von Falkenhausen, ancien gouverneur militaire de Belgique et du Nord de la France, et deux de ses assistants, qui ont tous été récemment condamnés à de longues peines de prison, ont été libérés et expulsés du pays……….. »
Note du 30 mai 1951 à Kemball Esq. ( Consular Department, Foreign Office) « ……M. Leslie Lever, député a amené une délégation pour me voir, composée de H.R. Norgan (le frère de John Norgan) et de deux représentants du Comité d'appel de Norgan. M. Lever a commencé à me remercier pour ce que le ministère des Affaires étrangères avait fait, mais a dit qu'ils étaient tous très préoccupés par le retard dans la prise de décision….. / …. Les deux représentants du Comité Norgan, prétendant parler au nom d'un grand nombre d'anciens militaires, ont fait quelques remarques visant tous à affirmer que Norgan est innocent et ont ensuite tenté de se demander comment il pourrait effacer son nom une fois qu'il est retourné en Angleterre. Avec le soutien de M. Lever, j'ai mis toutes ces questions à l'écart, en disant que le premier objectif était de ramener Norgan à la maison. Nous nous sommes séparés en des termes raisonnablement bons, mais je ne peux pas dire que je les ai satisfaits….. »
Note du 27 juin 1951 de Ron Hadland ( ? signature manuscrite ?) en copie à Kemball Esq. ( Consular Department, Foreign Office)… « Il y a une caractéristique de l'affaire Norgan que je pense que vous devriez savoir. Dans l'une de mes conversations avec M. Lever M.P. , J'ai suggéré que comme lui, le frère de Norgan et le comité de défense de Norgan à Manchester semblent très vivement intéressés par l'affaire Norgan, serait-ce une bonne idée qu'ils maintiennent un contact un peu plus étroit avec l'avocat belge de Norgan en vue de l'informer et de le faire passer à l'action. Sur ce, M. Lever a répondu qu'ils ne savaient pas qui était l'avocat de Norgan et que cela ne leur appartenait pas car ni le frère de Norgan ni le Comité n'avaient de fonds et l'avocat était payé et informé par le ministère des Affaires étrangères….. / …… Je comprends maintenant du département consulaire que nous nous sommes parfois engagés à payer les frais juridiques de Norgan et que nous soupçonnons que l'avocat de Norgan ne poursuive pas cette affaire avec autant d'enthousiasme qu'il le pourrait puisqu'il n'a jamais été payé. ..."
Note du 27 juin 1951 de Ron Hadland ( ? signature manuscrite ?) en copie à Kemball Esq. ( Consular Department, Foreign Office) « ……..Le ministre de l'État veut que cela soit examiné de toute urgence car il prévoit de graves problèmes. …../ ……. Connaissant M. Lever, il est possible que l'avocat ait l'impression que, comme il a des contacts à l'ambassade, l'ambassade est désormais responsable de tout paiement, et nous pourrions nous trouver poursuivis dans des circonstances pour lesquelles, cela pourrait nous rendre extrêmement difficile de se tirer d'affaire….. »
Lettre du 27 juin 1951 du frère de John Norgan au Député Mr. Lever de Manchester « ……. Veuillez trouver ci-joint les informations que vous avez demandées hier soir. Je regrette de ne pouvoir trouver aucune date exacte etc. mais apparemment, d'après le papier que j'ai en ma possession, mon frère était au début d'avril 1946 est venu pour la première fois devant le parquet militaire belge, il a été entendu par le questionner militaire à Ypres, que les papiers étaient envoyé au parquet militaire de Bruges. En décembre 1946, mon frère a été accusé publiquement devant un tribunal public à Courtrai. Cela aurait pu être le moment où il était en liberté conditionnelle. C'est ma belle-sœur, Mme Elza Algoet, qui m'a informé que Bob était en liberté conditionnelle et qu'elle avait elle-même dû plaider auprès du procureur belge pour autoriser cette libération conditionnelle. Il a été accordé, à condition qu'il ne fasse aucune tentative pour s'échapper, et a été invité à donner sa parole en tant que gentleman anglais. Il a donné sa parole (et l'a tenue) et que sa femme serait tenue responsable s'il s'enfuyait……… »
Lettre du 4 juillet 1951 du Député Mr. Lever de Manchester au Ministre des Affaires Etrangères , Mr Kenneth Younger Longue lettre argumentée où il demande que tout soit fait pour une libération immédiate de John Norgan : « ….. À notre grand étonnement, le vendredi 22 juin, le frère de M. Norgan à Manchester m'a téléphoné pour dire que le Manchester et d'autres journaux anglais, ainsi que la presse belge, rapportaient que la peine de Norgan avait été réduite de 20 à 12 ans…./ …..Il est parfaitement clair que le caractère prématuré de l'annonce à la presse était contraire à tous les principes de justice fondamentalement reconnus et constituerait lui-même un motif d'annulation d'une sentence. Deuxièmement, selon la loi belge, Norgan aurait le droit de voir sa peine réduite de 4 ans et la question se posait immédiatement de savoir quand la peine avait commencé. Il y a une information selon laquelle l'homme était en liberté conditionnelle depuis un certain temps avant son arrestation, ce qui donnerait droit à la mise en liberté immédiate. Nous voulons que Norgan soit immédiatement libéré et il devrait être ainsi libéré sur le plaidoyer. 1) De l'annonce prématurée, et / ou 2) Du fait qu'il ait déjà purgé sa peine selon le droit belge….. »
21 septembre 1951 Note d’Anthony HAIGH (Ambassade de Bruxelles) « ……(Maître Cornil est le secrétaire général du Ministère belge de la Justice)…. J'ai commencé par rappeler à Maître Cornil ce que je lui avais dit lors de la dernière réunion, que notre secrétaire d'État était sous une forte pression des partisans de Norgan au Royaume-Uni. J'ai dit que cela était confirmé par le fait que j'avais depuis eu la visite du député de Norgan qui était venu à Bruxelles avec quelques membres du Comité des prisonniers de guerre, spécialement pour voir s'il pouvait me faire accélérer la libération de Norgan. Je lui ai dit que M. Lever m'avait demandé de l'emmener voir diverses autorités belges en la matière et que je l'avais dissuadé d'intervenir dans toute discussion officielle (M. Cornil a dit qu'il était heureux de l'avoir fait). Je lui ai dit que M. Lever et ses amis m'avaient dit qu'une pétition exhortant notre secrétaire d'État à faire pression pour la libération de Norgan avait été signée l'année dernière par 100 000 anciens combattants (Cette information m'avait été donnée par M. Lever à notre conférence du 19 septembre). J'ai également ajouté une autre information, qui m'a été donnée par M. Lever, selon laquelle la mère de Norgan, dont le mari était décédé dans un accident de chemin de fer en 1946, était en très mauvais état de santé. Elle avait 70 ans et son seul intérêt dans la vie était de voir son fils libéré de prison. M. Lever m'avait dit que la libération anticipée de Norgan pourrait l'aider à prolonger sa vie, alors que s'il n'était pas libéré dans un proche avenir, elle pourrait mourir avant même de le revoir…../ …… Maître Cornil a ensuite soulevé la question de savoir ce que ferait Norgan s’il était libéré sous condition. L'une des craintes dans l'esprit du ministère de la Justice était que, s'il était libéré et résidant en Belgique, Norgan pourrait rencontrer les parents de certaines des personnes qu'il a trahies aux Allemands; et qui, à la suite de cette trahison, avaient été emmenées en Allemagne et n’étaient jamais revenues. Si les proches de ces personnes trouvaient Norgan vivant paisiblement en Belgique sans avoir purgé sa peine, ils pourraient déclencher une opération. Cela pourrait donc changer la décision du ministre s’il pouvait donner l'assurance que Norgan, une fois libéré, quitterait la Belgique immédiatement……/……..En même temps, il serait entendu oralement qu'au bout de quelques années (Maître Cornil a suggéré 1960 comme date approximative), Norgan, s'il souhaitait retourner en Belgique, demanderait sa libération conditionnelle définitive. Maître Cornil ne pense pas qu'un engagement définitif puisse être donné à Norgan à l'avance pour que sa libération conditionnelle soit rendue définitive, mais il serait conforme à la pratique belge normale de le faire…… »
15 novembre 1951 Note de Mr Jellicoe (Ambassade de Bruxelles) à Mr Kemball du Foreign Office « …….. J'ai ensuite téléphoné à Cornil qui a confirmé les informations qu'il avait données à Van Parys. Cornil a également déclaré qu'il ne semblait plus y avoir de difficulté à ce que Norgan quitte la Belgique. Norgan avait déjà contresigné son ordre d'expulsion (j'ai vu le document en question) qui précise que s'il retourne en Belgique après son expulsion, il sera immédiatement passible d'une réarrestation. Comme vous le savez probablement, Norgan est en instance de divorce et les derniers articles doivent être publiés en décembre. Cela a sans doute éliminé l'un des motifs possibles qu'il pouvait avoir pour souhaiter retourner en Belgique après sa sortie de prison…../……. Cornil a promis de nous fournir le plus tôt possible des informations si et quand le ministre de la Justice se prononcera sur cette affaire. En attendant cette décision, cependant, j'estime qu'il serait sage que nous gardions un silence discret sur l'état actuel du jeu envers le Comité Norgan et M. Lever…… »
21 ou 27 novembre 1951 Note de Mr Kemball à …… ??? …………… « …….M. Lever nous a maintenant dit qu'il avait entendu dire que Norgan avait introduit une demande auprès des autorités belges demandant que, en cas de libération, il puisse être autorisé à rester en Belgique pendant deux jours pour voir ses enfants, et M. Lever a demandé que vous prendrez les mesures nécessaires pour retirer la demande. Nous sommes d'accord avec M. Lever qu'il serait très imprudent pour Norgan de rester en Belgique, même pour une si courte période, et qu'il pourrait bien s'exposer à de graves dangers et complications s'il tentait de visiter la ferme de sa femme. Nous estimons cependant qu'on ne peut pas vous demander d'intervenir contre la volonté de Norgan, et nous serons heureux si vous discuterez de la question avec Maître Van Parys et demanderez à persuader Norgan de retirer sa demande………… »
19 décembre 1951 , lettre d’Anthony Nutting à Mr Barclay « ………..Après avoir entendu du département à 17 h 50 hier que Norgan devait être libéré aujourd'hui, j'ai téléphoné à M. Leslie Lever à 10 heures ce matin pour lui annoncer la nouvelle. ….. » (Ecriture manuscrite) "Cher Député, j’espère que vous serez capable d’amortir toute publicité indésirable."
21 décembre 1951 , lettre à Anthony Nutting de ( Mr Barclay ??) « ……. Comme les choses se sont faites, la libération de Norgan semble s'être passée sans aucun incident. Il y a quelques jours, mon conseiller, Anthony Haigh, a suggéré, en privé et confidentiellement, à Maître Cornil, le secrétaire général du ministère de la Justice, qu'il serait préférable que tous les intéressés en Belgique donnent le moins de préavis possible quant à la date et l'heure de la libération de Norgan. Maître Cornil ; qui, comme vous le savez, a été le plus utile dans toutes nos relations avec lui dans cette longue affaire, a compris. En fait, nous n'avons appris que l'après-midi du 18 que Norgan serait libéré le lendemain. Nous avons alors informé le service consulaire comme suggéré dans votre lettre…… /…..Je crois comprendre que le départ de Norgan d'Ostende s'est bien déroulé et tranquillement, et que la presse londonienne a rapporté sa libération d'une manière raisonnable. De leur côté la presse belge n'a encore fait que passer, et parfaitement satisfaisant, référencé à l'affaire. À moins que les journaux locaux de Manchester ne jouent l'histoire d'une manière stupide, ou que Norgan change de ton (il aurait déclaré en quittant Ostende que les Belges l'avaient bien traité), j'espère que cette petite mais gênante affaire pourra être considérée comme fermée.
20/12/1951 Article du Daily Telegraph BRITANNIQUE LIBÉRÉ PAR DES BELGES
Plus de 77 ans après ces évènements, malgré la richesse des documents déjà retrouvés sur cette affaire, il me semble difficile d'être complètement acquis à l'unique et complète culpabilité de Norgan. Le rapport établi en 1945 après le retour de John Norgan des camps de prisonniers, des rapports NARA de Belgian et French Helpers, les archives militaires belges et anglaises, le rapport américain du G.O.C, peut-être des archives allemandes.....manquent. Certes, il a dénoncé et sans nulle doute été sérieusement "malmené" par WEYGAND ou SOUKEN, mais était-il aussi dans l'obligation de collaborer aussi activement ? (ou Perdu pour perdu, je collabore ?) Le nouvel enchaînement des évènements découvert grâce aux archives de KEW pose aussi question : deux reconnaissances au lieu de une, communément admise depuis plus de 70 ans. Une seule réduisait le champ des possibilités. Le jeu perfide des policiers allemands qui emmenèrent Paul ROSE dans l'une des reconnaissances vient aussi bousculer certaines certitudes.
Tout en ne validant absolument pas ce que disait l'avocat Victor SABBE sur Paul ROSE, mais comme lui, il me semble intéressant de souligner que toutes les pistes n'ont pas été exploitées lors du premier procès. Cette piste était sans doute capitale pour comprendre la suite des évènements. Malheureusement son raisonnement ne me semble pas abouti : comment peut-on expliquer son arrestation, douze jours avant le reste du groupe. Elle reste une véritable énigme. Pourquoi lui seul ? Qui l'a dénoncé ? La suite est bien connue avec la vague d'arrestations du lundi 29 novembre 1943, tout en pondérant avec le fait que le sort de trois personnes semblait déjà scellé avant l'arrestation de Paul ROSE. Pourquoi son arrestation n'avait-elle pas également alerté les autres personnes de Frelinghien, de Ploegsteert et de Comines, leur permettant ainsi de se mettre à l'abri ?
Pourquoi les Allemands ont-ils accusé Louis BOIDIN, Joseph ARNOUT, Solange DESQUIENS, Marceau SMEDTS, Marcel DERAMAUX..... d'espionnage et les emmener par la force, pour beaucoup, vers un funeste destin ?
Pensaient-ils avoir mis la main sur un grand réseau de renseignements, les mettre au secret et finir par les classer N.N ? Des patriotes évidemment mais apparemment pas des espions chevronnés dans le renseignement. Pourquoi l'aide fournie à d'autres soldats britanniques par le groupe de Frelinghien n'a-t-il pas été évoqué ? Selon Thomas TERRELL, Marie BOIDIN n'était pas une vraie Résistante ! Pourquoi ont-ils aussi emmené John NORGAN et Paul ROSE le 29 novembre, jour des arrestations.
Quel fut le rôle de la famille SOETE de Courtrai dont le nom a été retrouvé dans un rapport des Archives Royales belges ?
Que contiennent les archives militaires belges et britanniques ? Envoyer un sujet britannique en Cour martiale nécessitait probablement un ensemble de preuves plus élargi que les témoignages des rescapés des camps. Ces mêmes rescapés auraient déclaré lors du procès, selon Maître Sabbe, qu'ils n'avaient pas la preuve formelle des délations de NORGAN mais une convergence de faits qui laissaient penser à.
Cette page est donc appelée à évoluer.
Je remercie pour leur aide qui me fut très précieuse :
- Monsieur John CLINCH
- Monsieur Keith JANES
- Monsieur Laurent THIERY
- Monsieur Pierre MAES
- Le Musée de la Résistance de Bondues
- La Société d'Histoire de Comines-Warneton et de ses environs
- Les Archives Royales belges
- Monsieur et Madame DUPUIT
- L'Association "Houplines, toute une Histoire"
- Monsieur VASSEUR