Les déportés de Frelinghien, Comines... (2)
Page créée le 10 décembre 2021 - Dernière modification de la page le ..........
   En terme de préambule à cette seconde page sur les déportés de Comines, Frelinghien, Kaster, Ploegsteert et Warneton, je tiens à préciser que cette page n'aurait pas pu être préparée  sans les nombreux contacts que j'ai pu avoir après la mise en ligne de la première page.  Plus particulièrement,  tous mes remerciements vont à la famille DEBREZ pour la transmission de documents et les témoignages reçus, à la fille de Madame Elza ALGOET, qui m'a transmis le dossier qu'avait  précieusement gardé sa maman sur son premier mari, John Robert NORGAN mais également à la fille de Mr André RONDELET, fils de Gaston et Marie RONDELET-DEBREZ, morts en déportation. Outre les  nombreux documents transmis, la fille de Mme ALGOET a également eu l'extrême gentillesse de me traduire en français les documents de langue flamande présents dans ce dossier.

  Une des premières analyses du dossier de l'Auditorat de Bruges met en évidence un point qui me parait important à souligner : la famille ALGOET de Kaster a été une famille d'authentiques Résistants luttant contre l'ennemi nazi et ceux, qui en Belgique, collaboraient avec les occupants.  Je tenais à formuler cette première conclusion que la fille de Madame Elza ALGOET ne m'a jamais souligné ou fait remarquer lors de notre rencontre ou pendant les communications téléphoniques que nous avons eues ensuite.  
Table des matières (Accès direct à.....)
1 :  Rapport établi par Coy Sgt Major G.Y. THOMPSON (Special Investigation Branch, Northern Command le 30.08.1945 au retour en Angleterre de John Robert NORGAN après sa libération du Stalag 344. 
   Les dossiers "French Helpers" des personnes liées à cette affaire en font régulièrement état. Il a été retrouvé dans les documents de l'Auditorat de Bruges établi avant le premier procès de John Robert Norgan  (Sources : archives de Madame Elza ALGOET transmis par sa fille) 
   J’ai été averti de ce que je pouvais m’exprimer librement, mais que toutes mes paroles seraient enregistrées par écrit et pourraient éventuellement être utilisées contre moi. 
Signé .J.R. NORGAN. 
 
   J’ai été fait prisonnier en France, par les Allemands, le 27 juin 1940, en même temps que le soldat BLORE 8th Ba Lancashire Fusiliers. Nous avons décidé de rester ensemble. Nous avons été emmenés de l’endroit où nous avions été capturés, et après 16 jours de marche, nous avons décidé de nous évader. Nous sommes parvenus à quitter la colonne et à nous cacher dans une maison vide au bord de la route. 

   Dans cette maison, nous avons trouvé de l’eau et du sucre, et nous avons vécu dans la cave pendant quatre jours environ. Puis nous avons quitté la maison pendant la nuit, mais nous avons été recapturés le lendemain, au petit jour. Nous avons alors été embarqués dans un train, à destination de MONS. Ensuite, nous avons été logés dans des baraques occupées par la Jeunesse Hitlérienne. Nous y sommes restés deux semaines, puis nous avons été placés dans un camp de transit, d’où nous sommes partis à destination de l’Allemagne. En cours de route, des petits groupes de prisonniers anglais se sont joints à notre convoi. Après 16 jours de marche, nous nous sommes à nouveau décidés à tenter de nous évader, car un de nos gardiens allemands nous avait appris que le lendemain nous serions en Allemagne. Nous sommes parvenus à quitter la colonne et à réfugier dans un café abandonné, d’où après nous être emparés de quelques vêtements civils nous sommes partis deux heures plus tard. Nous nous sommes dirigés vers la côte et nous avons traversé LESSINES, FLOBECQ et RENAIX et d’autres localités encore dont je ne me souviens plus des noms. 

   Enfin, nous avons traversé la rivière Skwet ( ??) et sommes arrivés à CASTER. L’on moissonnait en ce moment, ce devait donc être en juillet ou en août 1940, que nous avons atteint CASTER. Depuis le moment où nous nous sommes évadés pour la 2ème fois jusqu’au moment où nous sommes arrivés à CASTER, nous nous étions nourris de pommes de terre volées dans les champs et de lait. 

   A CASTER, nous nous sommes rendus dans une maison habitée par une femme dont nous avons appris le nom plus tard. Elle s’appelait Mme DE KONINK. Cette femme nous a accueillis dans sa maison et nous a donné du pain et des œufs à manger. Après que nous avions pris ce repas, Melle Elza ALGOET est arrivée chez Mme DE KONINK. Elle parlait un peu l’anglais. Elle me comprenait mieux que BLORE. Melle ALGOET m’a déclaré que les Anglais avaient évacué la France et qu’il était inutile pour nous d’aller plus loin, car les Allemands avaient coupé toutes les routes conduisant à la côte. Elle nous a proposé de l’accompagner et de vivre chez elle. Elle m’a dit cela en anglais de manière que Mme DE KONINK ne puisse pas le comprendre, pour le motif, je l’ai appris plus tard, que cette dame était très bavarde. BLORE et moi, nous avons quitté le maison de Mme KONINK pendant la journée, le même jour que celui de notre arrivée à CASTER, et nous nous sommes rendus chez Elza qui habitait à une dizaine de minutes de là. Nous avons vécu avec la famille ALGOET pendant un an, peut-être bien un an et demi. 

   Les Allemands venaient souvent à la ferme ALGOET pour y acheter des œufs mais ils ne nous ont jamais vus. L’adresse des ALGOET à cette époque était Oude Pont Straat, n° 7 CASTER, et leur famille comportait la mère Alice, le père Kamille, le fils aîné Achille, un plus jeune fils Gérard, un autre plus jeune Julien et la plus jeune de toute la famille, la nommée Elza. Elle était âgée de 28 ans environ. 

   Après avoir vécu pendant un an, un an et demi chez les ALGOET, Julien vint un jour nous annoncer qu’il était entré en contact avec une organisation clandestine, qui pouvait nous rapatrier en Angleterre quatre jours plus tard. Le jour suivant, Julien, Elza, BLORE et moi-même, nous nous sommes rendus à bicyclette chez Mme BREL, 2 rue de Pré à WARNETON. Nous y avons rencontré Mme BRELL et bu pour la 1ère fois du thé anglais depuis notre séjour en Belgique. Je crois que BLORE et moi nous avons dormi dans cette maison pendant toute la semaine. Comme il semblait que nous avions aucune chance de rejoindre l’Angleterre, j’ai écrit à Elza pour lui demander de nous accepter de nouveau chez elle. Le jour suivant, Elza est venue nous chercher et nous sommes retournés chez elle en bicyclette. 

Exactement un mois plus tard, Mme BRELL, vint à CASTER et nous déclara, qu’elle avait définitivement un plan pour nous permettre de rejoindre l’Angleterre. Nous nous sommes de nouveau rendus à Warneton et de là, Mme BRELL nous a accompagnés jusqu’en France où elle nous a conduit chez une certaine Mme Blanche ou White. Je ne me souviens plus de l’adresse de Mme Blanche si ce n’est qu’elle habitait Comines. Nous avons séjourné à cette adresse pendant environ un mois et alors, un lundi soir, Mme BRELL est venue nous annoncer que nous étions sur le point de partir pour l’Angleterre, mais que pour ce motif, nous devions nous rendre à une autre adresse. Mme BRELL nous a conduit à Frelinghien, chez un marchand de charbon appelé BODIN. Nous y sommes restés un mois au cours duquel nous avons après 15 jours d’attente, Elza est venue nous visiter.  

   A la fin de ce mois, j’ai écrit à Elza pour lui demander de pouvoir retourner à CASTER. Elles nous conduisirent de nouveau chez Mme BRELL où j’ai passé la nuit avec BLORE, tandis que Elza s’en retournait à CASTER en bicyclette. Le matin suivant, Elza est revenue chez Mme BRELL en vue de nous ramener à CASTER. BLORE refusa de l’accompagner et nous avons accepté de nous séparer. Sans pouvoir vous l’affirmer, nous devions être en ce moment en octobre 1941. 

  J’ai demeuré chez Elza et tout s’est passé calmement, jusqu’à la Noël, lorsque j’ai appris que la Gestapo avait arrêté Mme BRELL pour son activité clandestine. A cette époque, j’étais capable de parler couramment le flamand et je travaillais au dehors dans les champs. Tout se passa de nouveau normalement jusqu’en octobre 1943, lorsqu’une bande d’environ 15 à 20 hommes sont venus cerner la maison des ALGOET. J’ai appris plus tard que c’étaient des contrôleurs belges travaillant sous les ordres des Allemands. Ils ont visité la maison et y ont découvert un revolver. Elza vint me prévenir dans les champs et me dit de m’enfuir car les contrôleurs étaient allés quérir la Gestapo. Je me suis enfui dans la direction de la forêt se trouvant à environ 3 kms de là. Les contrôleurs ont ouvert le feu sur moi et m’ont rejoint à proximité de la forêt. Ils m’ont ramené à la maison sous escorte et m’ont laissé sous bonne garde. Je suis parvenu à acheter mon gardien pour 500 frs et je suis allé me cacher dans la cave. Je suis demeuré dans cet endroit pendant 10 heures et durant ce temps-là, la Gestapo et les contrôleurs perquisitionnaient partout dans la maison à ma recherche. La cave secrète dans laquelle je me trouvais avait deux issues. Un contrôleur parvint à découvrir une de ces issues mais je m’enfuis par l’autre.  J’étais sur le point de me dissimuler dans une garde robe dans la chambre à coucher de Mme ALGOET lorsqu’un contrôleur m’a vu et j’ai de nouveau arrêté. Ils m’ont lié les mains derrière le dos et m’ont conduit à la cour. Ils ont ensuite découvert, cachés dans une des caves : un Brenn , un fusil anti-tank, trois fusils 303, trente six revolvers, un millier de grenades, et un lot de munitions pour 303. Les Allemands m’ont conduit à la prison de Courtrai en compagnie de Elza, de sa mère et de son père. J’ai été enfermé seul dans une cellule, et le lendemain matin, j’ai commencé à être interrogé. Durant 6 jours, du matin au soir, on m’a questionné sur les noms des personnes appartenant à des organisations clandestines, et sur des organisations en général. J’ai refusé de parler et ne leur ai rien révélé. Ils ne savaient pas au début que j’étais anglais car je parlais toujours en flamand. Ils avaient un civil belge comme interprète (le maire d’Oudenaarde) . Ils m’ont enfin fait avouer que j’étais anglais en me disant qu’Elza avait déclaré ma nationalité et qu’il n’y avait pas de nécessité pour moi de souffrir davantage. Tout le temps qu’a duré mon interrogatoire, j’ai été bourré de coups et nourri de pain infect et de choucroute. Quand les hommes de la gestapo ont déclaré que j’étais anglais, ils m’ont laissé tranquille et m’ont reconduit, ou je suis resté deux jours sans être interrogé. Après ces deux jours, ils sont revenus et m’ont déclaré connaître tout à mon sujet, et qu’il valait mieux pour moi de leur révéler les noms des personnes qui m’avaient aidé depuis la première fois où je m’étais échappé des Allemands en 1940. J’ai refusé et alors ils ont commencé à me battre. C’étaient les mêmes personnes qui m’avaient aidé questionné précédemment. Après m’avoir battu, ils ont enlevé ma chemise, m’ont attaché à une chaise et l’un d’eux m’a frappé avec une corde. Les autres me frappaient sur le crâne avec des matraques en caoutchouc. Ils m’ont presque fait devenir fou. Comme ils m’ont dit que la fille ALGOET allait être fusillée si je ne parlais pas, mais qu’elle serait libérée si j’avouais, je n’ai pu le supporter plus longtemps et j’ai déclaré être prêt à leur dire tout ce qu’ils voudraient. J’étais en si mauvais état après les coups que j’avais reçus, qu’on a dû me transporter à l’hôpital du quartier général de la Gestapo à Kortrijk où je suis demeuré une quinzaine de jours. Après ma sortie de l’hôpital, j’ai été autorisé à voir Elza dans une petite chambre de sa section, à la prison où j’avais précédemment été enfermé. Il y avait un membre de la Gestapo présent durant cet entretien. Je ne lui ai pas dit, que j’avais été battu par la Gestapo mais lui ai annoncé, qu’elle et ses parents seraient bientôt libérés. Elle m’a demandé pourquoi. Mais je n’ai pas répondu. J’ai alors été ramené en prison, où je suis resté pendant un mois et je n’ai plus été questionné une seule fois. A la fin du mois (Fin novembre 1943), la Gestapo est venue à la prison et j’ai été emmené. 

   Après avoir été battu, et avant d’être conduit à l’hôpital, j’avais donné à la Gestapo, les noms et adresses suivants : Mme BRELL, Mme BLANCHE, Mme BODIN. Je leur avais dit que Mme BREL habitait au n° 2 rue d’Ypres et que je ne connaissais pas l’adresse des deux autres. J’ai avoué que ces personnes m’avaient assisté et hébergés ainsi que mon camarade pendant deux mois environ. Les Allemands m’ont déclaré qu’ils n’entreprendraient rien contre ces personnes, mais qu’ils désiraient seulement s’assurer si j’avais dit la vérité. Les Allemands ont enregistré ma déclaration, mais je ne me souviens plus si je l’ai signée. Lorsque les Allemands m’ont amené de la prison, ils m’ont tout d’abord conduit à Comines, chez Mme Blanche (Mme Marie RONDELET-DEBREZ). Deux membres de la Gestapo et l’interprète m’accompagnaient. Ils m’ont fait entrer dans la maison de Mme BLANCHE et l’interprète a demandé à cette dernière, ainsi qu’à son mari, prénommé André, et à leur fils, également prénommé André, ce dernier âgé de 14 ans, s’il m’avait déjà vu précédemment. Ils ont tous nié cela et je n’ai parlé à aucun d’eux. Les deux membres de la Gestapo ont alors emmené le jeune André dans le garage voisin. Quand ils sont revenus, le jeune homme avait l’air d’avoir été assommé. Nous avons alors quitté la maison sans que Madame Blanche ait été inquiétée autrement. (Dimanche 28 novembre 1943) 

   A l’étape suivante, nous nous sommes arrêtés à Frelinghien, et j’ai été conduit dans la maison de BODIN. Cinq membres de la famille BODIN étaient présents, mais je ne connais pas leurs noms. La même chose se passa, ils nièrent tous savoir qui j’étais à l’exception du frère de Mme BODIN, qui déclara m’avoir vu quelque part, sans pouvoir préciser. La Gestapo m’a alors reconduit à la prison de Kortrijk. Ils ne m’ont pas questionné cette nuit-là.  

   Le lendemain, à 4 heures 30, (Lundi 29 novembre 1943) ils m’ont emmené en voiture ; un camion militaire nous suivait. Nous nous sommes arrêtés chez Mme Blanche et les trois membres de la famille furent arrêtés et embarqués dans le camion. Nous sommes allés ensuite chez Mme BODIN et les cinq habitants de la maison furent arrêtés et également embarqués dans le camion. Enfin nous sommes allés chez Mme BRELL où les Allemands ont arrêté et emmené son mari prénommé Maurice. Les trois BLANCHE, les cinq BODIN et Maurice BRELL ont été conduits à la prison de Courtrai, dans le même camion et sous la garde de la Gestapo. J’ai été conduit au Q.G. de la Gestapo à Courtrai, et j’y ai reçu des allemands mon premier repas décent. Ce repas consistait environ en pommes de terre, légumes pois et sauce et un verre de bière. J’ai reçu quatre cigarettes. 

  Plus tard, le même jour, nous avons tous été réunis dans la même salle. M et Mme BODIN ont craché sur moi. Leur crachat ne m’atteint pas. Ils me regardaient tous méchamment. Ils murmuraient entre eux en regardant dans ma direction. Je ne sais pas ce qu’ils disaient. Pendant que nous étions dans la même salle, le chef de la Gestapo qui avait obtenu de moi les informations sur les autres, est arrivé et m’a donné une cigarette en leur présence. Je l’ai mise en bouche et il m’a donné du feu. Après cela, il m’a conduit à l’étage dans son bureau et les autres furent introduits un par un. Il leur a demandé à chacun s’ils m’avaient hébergé et ils ont répondu à chaque fois non. Je n’ai rien dit. (Pas une rébellion même minime sur le fait que les Allemands avaient déclaré que les personnes ne seraient pas inquiétées) J’ai ensuite été conduit à la prison de Kortrijk. Je n’ai plus vu aucune de ses personnes. Peu après, j’ai été conduit à la prison de Bruges où je suis resté jusqu’en avril 1944.
 

   Durant toute cette période, j’ai été traité comme un prisonnier ordinaire et je n’ai plus été questionné, et j’ai toujours été seul en cellule. 

   J’ai alors été conduit au Stalag 344 où je suis arrivé le 7/04/1944. Le 17/05/1944 nous avons quitté le camp de prisonniers pour les lignes russes. Je suis retourné en Angleterre le 26 mai 1945. 

   J’ai l’intention d’épouser Elza ALGOET et je corresponds avec elle. Les informations que j’ai données aux Allemands n’ont été fournies que parce qu’ils disaient vouloir la fusiller ainsi que sa famille si je ne leur répondais pas, comme je l’ai fait. Je me trouvais dans un état physique et moral fort bas du fait d’être toujours en alerte et d’avoir reçu un traitement aussi cruel des allemands. 

   Je crois que le chef de la Gestapo qui m’a torturé, s’appelait WEYGAND ou VEIGHANT. L’homme qui servit d’interprète s’appelait, je crois, VANDENBERGEN et était le bourgmestre d’Oudenaarde. Il portait une décoration nazie. 

   J’ai lu la déclaration ci-dessus, qui est vraie et a été faite volontairement par moi.  
Signé J.R. NORGAN 
2 :  Déclaration établie le 11 juin 1948 par Madame Pélagie DEBREZ-DUPONT, belle-soeur de Madame Marie RONDELET-DEBREZ décédée en déportation
   Suite à la demande d’appel de Bob Norgan, ci-dessous les faits que j’ai à signaler : 
   Le 29 septembre 1943 vers 7 h ¼ nous avons eu une perquisition de la Gestapo. D’après les recherches faites par les policiers, j’ai supposé que c’était un homme que l’on recherchait, visite des lits, placards, recoins du grenier ; vêtements et examens des photos ce qui m’a fait penser qu’il s’agissait des deux anglais hébergés par la famille Rondelet, une photo des dits anglais, de Mme Breel, de Mme Rondelet ayant été prise lors de leur passage route de Wervicq. Le chef s’adressait plus particulièrement à moi. Puis ils se sont retirés, la famille Rondelet avait été arrêtée. 

L’après-midi vers 14 h ½ le même chef est revenu, m’a ordonné de rentrer dans la cuisine, voici l’entretien qui a eu lieu : 
- Où est Jim Blore ? 
- Qui ? 
- L’Anglais qui a été ici 16 mois ! 
- Il n’y a jamais eu d’Anglais ici. 
- On va bien voir, suivez-moi ! 

   Il m’a autorisé à mettre un manteau, à ce moment il a tâté dans le placard un peignoir de molleton beige, ce vêtement lui donnant sans doute l’impression d’une capote militaire. 

   Puis je l’ai suivi dans la maison de Mme Rondelet sise à environ 50 m de la nôtre. Je dois dire que chemin faisant j’avais aussitôt compté les mois, depuis l’arrivée de Jim ; cela correspondait bien à 16 mois – c.à.d de juin 42 à novembre 43 car Jim venait de quitter précipitamment la famille Rondelet vers le début novembre, celle-ci avait été prévenu qu’on recherchait des Anglais cachés à Comines. Il avait été toujours convenu entre les Rondelet, Jim et nous qu’on nierait la présence d’Anglais ou de les reconnaître en cas d’ennuis avec les Allemands. Donc instinctivement, je m’attendais à cet évènement, mais je m’attendais plutôt à voir Jim vu que je le savais dans une autre commune. 

   Arrivé chez Mme Rondelet, le chef (un homme grand, blond, ayant l’accent allemand) m’a fait entrer dans la maison et me montrant les escaliers du doigt : 
- Montez ouvrir le coffre-fort 
- Je n’ai pas à ouvrir le coffre-fort de ma belle-sœur, je ne suis pas chez moi, d’ailleurs il y a certainement un secret, je n’y connais rien. 
- Montez ouvrir le coffre-fort. 
- Je n’irai pas, ce n’est pas à moi, [..], je ne me mêle pas de ses affaires. 
Il y avait au bas de l’escalier 2 ou 3 hommes en civil, un seul en uniforme. A ce moment, un autre civil est arrivé de la salle à manger et a frappé sur l’épaule du chef, il lui a dit quelques mots en allemand que je n’ai évidemment pas compris. 

   Cet homme taille environ 1,65 m brun, 35 ans ? environ, bien vêtu parlant correctement le français avec un léger accent de Bruxelles, m’a fait signe du doigt de le suivre à la cuisine. Il me voyait aussi bien de face et d’un seul coup me voilà en face de Bob. Je n’ai eu aucun réflexe. 
- Connaissez-vous cet homme ? 
- Non. 

   L’inspecteur pose la même question à Bob qui répond affirmativement (ces questions en anglais évidemment). Il lui fait enlever son chapeau. 
- Et maintenant le reconnaissez-vous ? 
- Non, je n’ai jamais vu cet homme. 
- Cela n’a aucune importance, vous pouvez bien dire si vous connaissez cet homme. 
- Non, je ne le connais pas. 
Il cause avec Bob. 
- Pourtant cet homme dit vous connaître et avoir déjà pris le thé chez vous. 
- Après tout, cela se peut, en 39-40 dans toutes les maisons de Comines, il y avait beaucoup d’Anglais, peut-être était-il du nombre, mais je ne me souviens pas l’avoir vu ! 
A ce moment, Bob s’est appuyé sur la barre de la cuisinière. L’inspecteur lui a demandé si j’avais des enfants et combien ? 
- Trois à répondu Bob. 
- Combien d’enfants avez-vous ? 
- Cinq. 

   Puis on m’a laissé tranquille, je me suis assise, l’inspecteur s’est approché de Bob, lui a tapoté amicalement l’épaule comme pour le remonter ; puis ensemble, ils ont visité le placard de la cuisine, les meubles de la salle à manger, retourné les fauteuils pour voir si rien n’était caché dans les ressorts. Ils ont trouvé des pastilles de Vichy dans le tiroir, l’allemand en a mis une dans la bouche de Bob, ce dernier avait retrouvé son aplomb il paraissait en très bons termes avec l’inspecteur. On nous a laissés seuls un moment, Bob m’a regardé d’un air rieur, vous pensez bien que je ne pouvais mal de lui rendre un sourire bienveillant mais plutôt un regard méprisant. Durant ce temps, les autres Allemands étaient montés et s’ingéniaient à enlever le coffre. Bob s’est même roulé une cigarette, tabac tiré de sa blague (vieille boîte de pastilles Vichy Etat). Il était très bien vêtu, avait un chandail à col réversible. Il avait dans le cou une blessure, côté gauche ; on m’a dit ensuite que c’était un anthrax qu’il avait eu. Je me suis rendu compte que Bob cherchait la fameuse photo. Il ne trouvait pas l’album. 
Puis l’inspecteur est revenu, s’allume une longue pipe bavaroise (porcelaine) s’est assis près de moi et sur un ton badin m’a demandé : 
- Qu’ont dit les voisins ce matin ? Cela a dû faire une histoire dans le quartier. 
- Je ne fais pas de voisinage, je ne sors d’ailleurs pas, je suis grippée, ma fillette aussi. 
- Mais quelle idée a eue votre belle-sœur de garder chez elle deux Anglais ! 
- Ma belle-sœur n’avait certainement pas d’Anglais chez elle, elle ne les aimait pas assez pour cela, elle disait qu’en 14 ils avaient tué sa petite fille. (Andrée 1908-1916) 
Puis se levant, s’approchant et me causant presque bas ! 
- Vous pouvez avoir confiance (souligné dans le rapport) en moi, vous pouvez me dire qu’elle avait des Anglais. 
- Je ne venais jamais ici, que voulez-vous que je vous dise ? [...], je ne m’occupe de ce que l’on fait ici, et je ne m’en occuperai jamais. 
- Pourquoi [...]  ? 
- [...] 
- Ah ! Comment cela se fait-il qu’il y ait encore un jeune fils ici ? (André RONDELET né le 10 février 1927) 
- A la suite d’un second mariage, le premier mari ayant été tué en 14. (Théodore LAIR 1884 – 16 juillet 1915) 
Et après une pause : 
- Mais, Monsieur ne puis-je retourner chez moi, mes enfants vont rentrer de l’école ? 
- Ah ça c’est au chef à voir, c’est lui qui commande ici ! 
Puis, il ne m’a plus rien demandé ; je suis restée environ une demi-heure ou plus ? Ils sont tous redescendus, l’inspecteur a parlé au chef, j’ai renouvelé ma demande et j’ai très bien compris le JA libérateur. 
 
Même déposition a été faite à un officier venant enquêter vers novembre 44. Puis au commissaire de police de Comines, sur appel de celui-ci. 
En juin ou juillet 46, même déclaration au Consul Britannique, venu chez moi demander si je maintenais ma plainte. 
Fait en triple exemplaires, dont deux remis à Mme Breel pour être transmis à qui de droit. Je certifie les faits ci-dessus exacts. 
Fait à Comines, le 11 juin 1948 
Signature 
(acte de moi-même…………………….) 
Témoignage de Monsieur Francis DEBREZ ( 20 décembre 2020)

"Après guerre, Martha DESRUMAUX (*), fortement engagée politiquement, est venue faire une conférence à Comines à l’Hôtel de ville. Elle avait habité autrefois dans le même quartier de la rue du Château.  Elle a souhaité rencontrer mon papa avant la conférence pour lui raconter le fait suivant : 
En arrivant à RAVENSBRÜCK, Marie RONDELET-DEBREZ, ma tante, a reconnu Martha DESRUMAUX et elle est allée vers elle en lui disant : « Tu ne me reconnais pas ? ». La réponse fut négative et ce n’est que par le rappel des évènements et de l’histoire des habitants du quartier du château à Comines, qu’elle finit par reconnaître ma tante." 

(*) Martha Desrumaux, née le 18 octobre 1897 à Comines et morte le 30 novembre 1982 à Évenos, est une figure emblématique du mouvement ouvrier et de la résistance intérieure française