Des nouvelles de Frelinghien 1914 1915 
Page créée  le 28 juillet 2022 - Dernière modification de la page le 7 août 2022
    Dans cette chronique des évènements des premières années de la Grande Guerre qui se sont déroulés à Frelinghien et dans les hameaux du Funquereau et de la Houlette ainsi que celui du Touquet en territoire belge, on pourra une nouvelle fois remarquer, comme pour les chroniques liées à la commune de Wambrechies, que certaines observations auraient pu être facilement classées comme actes d'espionnage par les Allemands si ceux-ci avaient trouvé les écrits de cette jeune fille. 

     On y trouve toujours également les bruits, les rumeurs, les vraies et fausses nouvelles. La mort du Lieutenant CHOISY est annoncée le 23 juillet 1915 alors qu'il ne décèdera que le 22 septembre 1916 à l'hôpital de Chartres.

   Certains paragraphes amènent d'autres éclairages sur des faits déjà bien connus, notamment la  trêve de Noël 1914 observée par des témoins "civils" mais également plutôt méconnus comme  la rébellion de soldats allemands.

   L'histoire d'Angèle DE BOCK, l'espionne  (avec 2 sources complémentaires) y est également contée ainsi que celle de Maria CASTELAIN, accusée également d'espionnage.  Elle écrira ses mémoires à son retour d'Allemagne.
   
   Wambrechies, Quesnoy sur Deûle et Frelinghien sont situées dans le même secteur. Contrairement aux deux premières, non loin du front, Frelinghien est au coeur des combats et les tranchées sont au coeur de la commune. Les combats y ont été terribles et les mines que faisaient sauter les troupes britanniques étaient ressenties comme des tremblements de terre jusqu'à Quesnoy sur Deûle.

      A la lecture de ces lignes, on prend une nouvelle fois conscience que les soldats allemands se sont  confiés aux civils des villes occupées. 
Carte allemande des tranchées dans le secteur de Frelinghien
Samedi 17 octobre 1914 
…………. Se rendre à Frelinghien n'est plus possible, trop dangereux, un contrôle est installé près de la ferme de Mr Placide Liénart et les soldats interdisent l'accès vers la commune. Les Allemands s'enterrent, se fortifient, se cachent, déracinent des arbres. Les Quesnoysiens n'ont plus aucune nouvelle de leurs familles qui habitent au-delà de Frelinghien.

Dimanche 1er novembre 1914 
…………. Un aéroplane français survole les Allemands. Il réussit à retourner vers ses lignes malgré les canons qui lui tiraient dessus. Des chariots remplis de soldats morts sont alignés près du cimetière. On a attaché des bouteilles aux cadavres, à l'intérieur on y a glissé un papier avec le nom du soldat. Les pertes des combats de la semaine dernière ont été épouvantables. Des civils qui se sont enfuis de Frelinghien en profitant de la nuit, relatent des faits épouvantables : les maisons brûlent, les obus ne cessent de tomber. .......

Dimanche 15 novembre 1914 
Melle Castelain (Maria Castelain a épousé Joseph Catteau, cultivateur à la Croix au Bois, ils ont eu trois enfants Jospeh, Louis et Anne-Marie)  , accusée d'espionnage, est emmenée en Allemagne. Elle est partie sans vêtements, sans bagages. On lui a fait croire qu'elle serait emmenée à Lille.

(Sources Michel CATTEAU - Mémoires de Maria Castelain "MON VOYAGE EN ALLEMAGNE -
Chère Père, Cher Soeur, 
Qui aurait pu croire en partant de la maison sans vous dire au revoir, pensant rentrer le jour même, que nous avons été envoyés en Allemagne accusés d'espionnage, nous ne pensions pas plus à cela, que le jour qui nous éclaire. Nous avons été envoyés à la Citadelle pour coucher. Etant dans la cour, nous avons monté quelques marches, deux hommes vinrent au devant de nous et nous disent que nous sommes à la citadelle prison. Ils auraient donné un coup de poing, ils n'auraient pas fait plus de mal. Henri est parti coucher avec les hommes et moi je me trouve au milieu d'un quinzaine de femmes et d'enfants venus des environs de Warneton chassés de leur maison par des lanciers à cheval (trois heures de route) et conduis à la citadelle sans motif. Jamais je n'avais vu un si triste convoi..........")



Jeudi 3 décembre 1914
.............Dans les champs labourés aux environs de Frelinghien, les officiers allemands organisent une chasse. .

Dimanche 27 décembre 1914
....."Mr Prévost est arrivé de Frelinghien. Il dit qu'à l'occasion de Noël, les armes ont été suspendues, anglais et allemands se seraient réunis. Lui-même ne voulait pas le croire pourtant il a vu les allemands sortir des tranchées. Allemands et anglais se seraient réunis au Touquet près de la maison de Tante Rose. Tous ces soldats étaient désarmés et ont échangé des cigarettes, des cigares, les officiers se sont tendus la main. Nous avons peine à croire à tout cela !"....

Jeudi 7 janvier 1915
…….Mr Verbecke de Deulémont indique que tout est calme dans son secteur. Il est allé à Frelinghien : presque toutes les maisons sont effondrées....... 
 
Dimanche 10 janvier 1915 
........Les Anglais n'avanceraient que très lentement du côté d'Armentières quant aux Alliés qui se trouvent à Kemmel n'ont aucun intérêt à avancer car leurs positions sont très hautes. A Frelinghien, on s'aperçoit que les Anglais avancent un peu car les phares qui éclairent le combat paraissent plus rapprochés.......Deux aéroplanes sont passés dans l'après-midi. On tire beaucoup sur eux........
 
 Lundi 11 janvier 1915 
………Très forte canonnade. Les habitants comprennent que les Anglais détruisent les villages et n'avancent pas. Warneton, Pont Rouge sont presque rasés. Messines et Frelinghien n'existent plus. Beaucoup de tombes ont été creusées dans le cimetière, l'espace entre le calvaire et le gravier de Linselles jusqu'au fond du cimetière est rempli par les tombes de soldats allemands. .…….. 

Mercredi 13 janvier 1915 
........ La canonnade se fait entendre. Les soldats allemands racontent que les Anglais se sont approchés de Frelinghien mais ont été repoussés. L'eau monte dans les tranchées et beaucoup de soldats sont noyés dans les effondrements......

Dimanche 17 janvier 1915 
........ Les habitants de Frelinghien ont huit jours pour évacuer.... 

Lundi 18 janvier 1915
.........Un des canons allemands de Frelinghien est déplacé jusque la Croix aux Bois.........

Mercredi 20 janvier 1915 
.......A Frelinghien, on creuse de grandes tranchées souterraines et spacieuses près du cimetière. On y descend un piano. La brasserie de Mr Lutun (Henri LUTUN, brasseur,  né en 1859 à Houplines marié à Louise DUHOT née en 1861 à Armentières) est effondrée, 40 soldats s'y trouvaient. Les caves de la commune sont toutes inondées. ........
 
Vendredi 22 janvier 1915
..........Melle Laloy est allée à Frelinghien dans les tranchées ou plutôt dans les souterrains allemands, elle y a reconnu son mobilier, objets d'art, tapis.........

Samedi 23 janvier 1915
......200 obus sont tombés sur Frelinghien qui compte 40 jours de bombardement. Passage de 4 aéroplanes allemands.......On voit Mr Delefortrie de Frelinghien sangloter, passé par Quesnoy car contraint d'évacuer vers Wambrechies (Louis ou Constant DELEFORTRIE boulanger en 1906 rue Royale) . Il y a quelques jours, tous les civils de Frelinghien ont été contraints de se faire inscrire, ils étaient environ 500. 35 canons sont installés tout prêt de la commune et les Allemands disent qu'il est prudent de partir. La maison de l'abbé Dancoisne a été touchée par un obus. L'épouse de Mr Prévost est encore à Frelinghien. Entre les Allemands qui peuvent le fusiller et les Anglais dont il aurait peine à se faire comprendre, la situation n'est pas réjouissante. Ce qu'il admet désormais : ils sont sous domination allemande.

Dimanche 24 janvier 1915
........Grand feu à la ferme Cerisier entre le Plaquet et la Houlette. On signale le passage d'un zeppelin.....

Mardi 26 janvier 1915
.......A Frelinghien, sitôt le départ des civils, les maisons sont pillées par les soldats allemands. ..... 

Mercredi 27 janvier 1915
.......Il est dit que du côté de Frelinghien, les terrains sont remplis d'obus et d'éclats d'obus..

Lundi 1er février 1915
.........La veille, les Anglais ont continué à envoyer des obus sur Frelinghien. Mr Prévost (profession boulanger) trouve qu'il lui est impossible de continuer à cuire son pain, il obtient la permission de le faire à Verlinghem......

Dimanche 21 février 1915
.......Plus de canonnade. Hier, une jeune fille d'une vingtaine d'années a été conduite au poste, on la soupçonne d'espionnage (Angèle Victoria De Bock passe la nuit au corps de garde des hussards, dans le café du Mouton Blanc à Quesnoy sur Deûle, tenu par Mr Cocherel). Elle comprend parfaitement l'allemand, parle anglais et flamand. Ses parents habitent Londres, elle est en Belgique depuis plusieurs années. Elle est conduite à la division. Le général a en possession des lettres d'Anglais et de Français qui ont été prises à la prisonnière. Cette jeune fille a répondu aux questions qui lui ont été posées avec un aplomb incroyable. Elle ne parait nullement soucieuse du sort qui l'attend. (Elle comparait devant le tribunal militaire du Kromprinz Rupprecht de Bavière) Elle sera probablement fusillée et se trouve heureuse de mourir pour son roi. (Fait également relaté dans le journal "Le Quesnoysien - résistante belge en fin de page - Monsieur Masse de Frelinghien l'aide, mais elle est arrêtée près de sa ferme).

Mercredi 3 mars 1915
.....Canonnade la nuit et le jour. C'est assourdissant. Les canons allemands sont postés au Funquereau. (Hameau de Frelinghien) Ils tiraient sur Armentières. Ils sont invisibles, la bouche seule sort de terre. Une dizaine d'obus anglais sont tombés non loin de là. Un obus est tombé non loin de là.

Jeudi 4 mars 1915
La jeune fille accusée d'espionnage (Angèle De Bock) est allée à la division. Le général a décidé qu'elle serait envoyée en Allemagne comme prisonnière. Pour le moment, elle fait tout ce qu'elle peut pour vexer ses gardiens et ses juges. Quand le général lui eut donné connaissance de sa décision, cette jeune fille lui répondit : "Quel malheur, il me faudra donc fouler ce sol maudit !". Elle est condamnée à six ans de prison. Sur le parcours de la prison à la division, à l'allée et au retour, la prisonnière se rit de ses gardiens. Souvent elle crie : "Vive la France, vive l'Angleterre"; quand elle va croiser des autos qui conduisent des officiers, elle leur adresse parfois des épithètes plutôt malveillants ! Elle ne se gare pour aucun vélo et c'est ainsi qu'un soldat allemand voulant éviter de la renverser est tombé par terre à la grande joie de l'espionne anglaise. En passant près du pont, elle enleva son faux chignon et déchirant des papiers qui s'y trouvaient cachés, elle en jeta les morceaux dans la Deûle ! Elle agit avec une adresse remarquable, c'est ainsi qu'elle a jeté des billets, à l'adresse d'une de ses tantes, aux personnes qui se trouvaient dans la rue. Elle annonçait ainsi à sa parente que, prisonnière des Allemands, elle partait pour l'Allemagne.

Samedi 27 février 1915
......A Frelinghien les caves des brasseries Lutun et De Weppe sont occupées par l'ennemi....... 

Samedi 13 mars 1915
.........Flore n'a pas quitté Frelinghien. Elle vivrait encore dans ses caves. Ces caves avaient 3 sorties : 2 dans la maison 1 dans la cour. La maison au-dessus est complètement rasée. On se pose la question si elle n'est pas ensevelie avec ses enfants dans la cave. ........

Mercredi 17 mars 1915
........Hier, les rares civils qui sont encore à Frelinghien ont entendu sonner les cloches à Armentières. Serait-ce pour fêter une victoire française ? On dit que de Frelinghien, on entend très bien les sifflets des fabriques d'Armentières, tout commerce ne serait donc pas suspendu ? Nous n'y comprenons rien. Il y a quelques jours, on nous assurait qu'Armentières était en partie détruit, d'autres disaient que cette ville était rasée comme Arras et Messines. ......

Mardi 23 mars 1915
.....Un civil arrive du hameau du « blanc baudet » entre Frelinghien et Houplines, il assure que là-bas, pendant la nuit dernière, et ce matin, on entendait des gémissements et des cris lugubres. On se battait à la baïonnette dans ce coin-là. .......

Mercredi 24 mars 1915
......A Frelinghien, il y a encore 87 civils. Les Allemands tirent de temps en temps, les Anglais ne répondent plus. Les civils ne peuvent plus regarder aux fenêtres tant les soldats deviennent méfiants. Les Allemands occupent toujours les brasseries coopérative et Lutun, les Anglais sont dans la ferme Debacque, ils se sont avancés jusque la barrière du chemin de fer sur la route du Gheer. Depuis plusieurs mois, ils ne quittent plus leurs positions. A Frelinghien, tous les prés sont creusés de tranchées. A Pérenchies, plusieurs obus sont tombés sur la ferme Roussel. La ferme, ancien bâtiment datant de l'époque des Templiers est fort endommagé. ..[...]...Les cris qu'on a entendus hier matin près du "Blanc Baudet" étaient poussés par les Hindous. Dans les combats à la baïonnette, les Anglais les font marcher en avant. Ces soldats fort disciplinés, mais naturellement sauvages, poussent des cris affreux, ils n'ont pas de pitié pour les blessés et massacrent les Allemands qui se rendent. Ils ont un poignard à chaque main et un troisième à la bouche. Ils lancent cette arme terrible avec une adresse incroyable, l'ennemi est toujours frappé en pleine poitrine. Au repos, les Hindous sont "parqués" comme des moutons.......

Samedi 27 mars 1915
.......Une partie de l'artillerie arrivée à Quesnoy vient de Frelinghien, celle qui s'amène de Verlinghem est remplacée là-bas par l'artillerie qui se trouvait à Lomme. Des personnes de Frelinghien qui s'étaient réfugiés à Tourcoing ont été envoyées dans le midi en passant par la Suisse; tous les évacués ont reçu le même ordre dans les villes de Roubaix et Tourcoing. Les communes ont dû leur fournir à chacun une couverture de voyage et des vivres pour plusieurs jours. Voilà qui est curieux, d'indigents auront fait cette année un voyage en Suisse et passé une semaine dans le midi !..... .......... 

Dimanche 4 avril 1915
.........A Frelinghien, les Anglais envoient des obus, les Allemands ne répondent pas. .

Mardi 6 avril 1915
.......A la Houlette, chez Gouwy (Louis GOUWY né en 1865 à Quesnoy sur Deûle - Marchand de Porcs - marié à Marie CATTEAU née à Deulémont en 1868, cabaretière) , il est tombé des balles anglaises, on dit qu'elles peuvent avoir été tirées à 1 600 mètres de là !.....

Vendredi 9 avril 1915
........On dit que les Anglais ont fait sauter une mine. 150 Allemands auraient trouvé la mort près de Frelinghien. Pendant ce combat, un aéroplane anglais a survolé Quesnoy en planant au-dessus de la Division puis il s'est dirigé au-dessus du Fort du Vert Galant.

Samedi 10 avril 1915
......On a conduit à Lille venant de Wattrelos, 600 soldats allemands qui ne voulaient plus marcher. A Frelinghien, il y a eu une forte attaque vendredi soir, on disait que les Anglais avaient passé la Lys et qu'ils étaient entrés à Frelinghien, il n'en est rien. De ce côté, les alliés n'avancent pas, mais les Allemands ont de grandes pertes d'hommes. Dans un estaminet de Frelinghien, il y a eu 35 morts hier. Les Anglais ne vont pas avancer cela leur coûterait trop cher, ils ont de bonnes positions, ils ont raison de les garder, les Alliés veulent réduire l'ennemi petit à petit. ...... 

Dimanche 11 avril 1915
........La ferme Picavet qui se trouve sur la route de Frelinghien est complètement détruite; des grenades anglaises ont visé l'emplacement des canons, une des pièces a été détruite; l'artillerie se voit forcée de reculer. Les Français sont à Nieppe. A Frelinghien, ou plutôt au Touquet, les Anglais ont fait sauter l'estaminet Hessel, la maison se trouvait près d'un terrain miné, elle était remplie de soldats allemands. Toute l'après-midi, mais surtout entre 4 et 6 heures, nous avons vu passer beaucoup d'aéroplanes..........

Lundi 12 avril 1915
.........Ce matin, nous avons eu la visite de Mme Laloy, elle vient d’apprendre, par sa bonne qui est allé à Verlinghem et qui a rencontré une personne de Frelinghien, que ma tante Flore et ses enfants sont partis du Touquet tout à fait dans le début que les Allemands étaient dans le pays, elle se dirigeait sur Ypres !...... C’est tout ce que Mme Laloy a pu savoir, nous n’avons pas plus de détails mais nous sommes contents de savoir qu’on l’a vue partir. Nous avions peur qu’elle ne soit restée trop longtemps dans sa cave. Un moment, nous avions supposé qu’elle était partie à Armentières puis on nous avait dit que cela était impossible, les Allemands ne permettant pas qu’on traverse leurs lignes de feu. Enfin nous sommes un peu rassurés au sujet de ma tante et de sa petite famille. Mme Laloy a entendu dire que la gare du Touquet est brûlée. Quel désastre et que de ruines dans pays, reverrons-nous un jour la maison de famille construite il y a si longtemps près de ces prés couverts d’eau en hiver !.....

Mardi 20 avril 1915
......Les rares civils qui habitent encore Frelinghien et les environs doivent évacuer ; ce village n’est plus habitable, il va être complètement rasé. Tous les civils doivent être partis pour vendredi. Il est difficile de voyager du côté de la Houlette, du Funquereau , à chaque instant on, réclame le passeport qui doit quelquefois être signé en route par le commandant de place le plus rapproché. Les Allemands deviennent chaque jour plus difficiles, ils se chagrinent parce qu’ils perdent beaucoup d’hommes. On dit qu’il n’y a plus de soldats allemands au Touquet, ils n’osent plus s’aventurer de ce côté, le terrain a été miné. .......

....Un canon allemand est posé près de la ferme Ducro (Baptiste DUCROCQ né en 1843 à Fleurbaix marié à Marie DESBUQUOY née en 1867 à Quesnoy sur Deûle), près de la distillerie de la Houlette.

Mercredi 21 avril 1915
..........Pour les obus, nous ne sommes pas plus préservés à Quesnoy que ne le sont les habitants de Frelinghien, Deulémont, Warneton. .......

Vendredi 23 avril 1915
.......... Ce matin vers 6 heures on voyait arriver tous les civils qui étaient restés à Frelinghien. Jusqu’aujourd’hui, l’ordre est formel cette fois, le village doit être évacué. Parmi ces 70 personnes, il y avait beaucoup d’enfants en bas âge et deux vieillards qu’on conduisait en chariot. Quel triste spectacle. Tout ce monde est dirigé sur le midi de la France en passant par la Suisse, ces 10 jours seront la mort de ces deux vieillards qui ne savent presque plus marcher, on doit les soutenir pour les conduire dans la voiture qui les emmène. Cette vue révolte les Quesnoysiens, la population n’a plus son calme habituel ; ces personnes de Frelinghien arrivées depuis 7 h ne sont parties qu’à 10 H ½ peut-être vont-elles rester en gare de Lille jusqu’au soir !.... L’Allemagne est sans pitié, même pour les vieillards et les enfants. Le maire de Frelinghien qui a quitté la commune depuis quelques temps est arrivé de Lille ce matin pour voir partir les évacués. Ces adieux furent touchants, après avoir donné des paroles de réconfort et de consolation le maire embrassa tous ses concitoyens en leur promettant des jours meilleurs. Plusieurs personnes de Frelinghien ont fait demander que ma tante Flore aille leur dire au revoir. Tout le monde suppose qu’elle est venue se réfugier chez nous !... Ces évacués ne peuvent pas faire un pas sans être accompagné d’un soldat armé baïonnette au canon. Tous portent un brassard. A la même heure que les évacués de Frelinghien on a vu partir les 21 personnes qui ont reçu l’ordre de quitter Quesnoy, on compte 18 femmes et jeunes filles et 2 hommes (Duponchelle) ce groupe n’inspire aucune pitié, on ne regrette pas de les voir partir !.... A Lille, les évacués étaient accompagnés de 15 dames de la Croix Rouge. Ces civils paraissaient si découragés que l’on craignait des scènes pénibles au moment du départ. La ville de Lille a fait appel une fois de plus au dévouement des dames de la Croix Rouge, 50 à 60 personnes se sont offertes spontanément, l’autorité allemande n’en a accepté que 15 ! Pour chaque train, il y a un prêtre et un docteur ainsi que les Religieuses. 300 personnes ont été réformées par le major allemand, on a dû les remplacer par d’autres. Nous venons d’apprendre que 2 fermes brûlent aux environs de la Houlette (Ducroquet et Boulogne)..........(Auguste BOULOGNE né en 1838, Louis né en 1840, Eulalie née en 1844, Marie née en 1879, Gabrielle née en 1885 / DUCROQUET Jules ou Charles ou Jules tous fermiers dans le hameau en 1906)

Dimanche 25 avril 1915
........Mme Germaine Lepercq a rencontré à Lille une personne de Frelinghien qui est certaine que ma tante Flore et ses enfants sont partis pour Armentières. A Tourcoing on dit que les Anglais sont à Quesnoy tandis qu’à Quesnoy, on dit qu’ils sont à Lomme. ....

Mardi 27 avril 1915
.....Beaucoup d’aéroplanes sont passés aujourd’hui, l’artillerie allemande les vise toujours en vain !... On vient de nous dire ce soir que la distillerie de la Houlette brûle..... 

Vendredi 30 avril 1915
............Les hussards sont partis aux tranchées pour la 1ère fois, 50 soldats de l’escadron du capitaine ont été désignés, les hussards de Wambrechies et Marcq sont passés eux aussi partant à Frelinghien dans les tranchées creusées dans les prés non loin de la Lys non loin de la maison de ma tante. ....

Samedi 1er mai 1915
.........Grands combats ce soir entre Frelinghien et Ypres. Quand donc parlera-t-on de la paix ? Cette guerre est d’une longueur décourageante ! Voilà le dixième mois qui commence. 7 se sont passés depuis l’arrivée de l’ennemi.....

Samedi 8 mai 1915
.........On n’obtient plus de passe port pour Frelinghien, impossible d’arriver jusque la Houlette. L’infanterie de Frelinghien arriverait dans 2 ou 3 jours. L’Italie aurait déclaré la guerre à l’Autriche. La Bulgarie et la Roumanie prendraient part à la lutte.....

Vendredi 4 juin 1915
......Marquillies serait aux Français. On dit que le drapeau anglais a flotté un moment un moment sur Frelinghien, les Allemands épuisés attendaient du renfort qui ne venait pas tandis que l’artillerie anglaise leu envoyait continuellement des obus. Découragés, ils firent flotter le drapeau blanc, voyant cela, l’artillerie allemande ne voulant pas qu’on se rende se mit à viser les soldats exténués qui refusaient de continuer la lutte. Se voyant détruits par leurs frères, les Allemands enlevèrent bien vite le drapeau blanc et le combat continua.

Mardi 8 juin 1915
........!.... A Frelinghien, les Anglais arrivant de la direction d’Armentières, se seraient avancés jusque dans l’église tandis que les Allemands occuperaient encore la brasserie coopérative, donc de l’autre côté de la Lys en Belgique, les Anglais qui sont dans la ferme Debacque sont à 50 mètres de l’ennemi et de l’autre côté du pont, les alliés étant à l’église de Frelinghien seraient aussi fort rapprochés des Allemands : Anglais, Allemands puis la Lys et encore Allemands et Anglais toujours à peine séparés par 50 mètres. Dimanche dernier, il y aurait eu un combat sur la place de Frelinghien, 200 Allemands se seraient rendus après avoir tiré sur leurs officiers, 400 soldats de ce régiment auraient été désarmés, on dit que leurs chefs les empêchèrent de fuir, grâce à leurs chevaux, qui reçurent bon nombre de coups d’éperons, ils surent rassembler ces fuyards qui sont soumis maintenant à un régime très sévère, on ne leur donne que du pain et de l’eau et on les emploie aux tranchées. Tout cela serait-il vrai ? Ces soldats désarmés que nous voyons passer matin et soir font peut-être partie du régiment indiscipliné et révolté. On raconte même que 10 de ces soldats auraient été fusillés comme meneurs de cette révolte parmi se trouvait un père de famille qui demandait grâce pour ses 4 enfants ; un jeune soldat qu’on avait chargé de cette exécution serait devenu subitement fou après une scène aussi pénible. .

Lundi 14 juin 1915
.....Nous avons vu ce matin Mr Prévost, l’ancien boulanger de Frelinghien établi maintenant à Verlinghem. Il a reçu des nouvelles de son frère qui est à Armentières par un soldat français prisonnier en Allemagne, il lui dit qu’à Armentières, le commerce continuer. Mr Prévost est allé à Frelinghien, il y a 10 jours, les Anglais venant d’Houplines sont toujours au même endroit, depuis 5 mois, ils occupent la maison de Mr Hansaert, s’ils n’ont pas reculé, il est certain qu’ils n’ont pas avancé, quelques patrouilles ont bien pénétré dans Frelinghien mais n’ont pas pu y demeurer. Le village est rempli de pièges, nos alliés ont raison de ne pas s’y aventurer. Un allemand qui venait de Frelinghien a assuré Mr Prévost qu’ils occupaient encore la brasserie Lutun ; et il y a si longtemps qu’on dit que cela appartient aux Anglais !.... De l’autre côté de la Lys, en Belgique, nos alliés avancent, tout le Touquet leur appartiendrait, des patrouilles se seraient avancées jusqu’au pont. La maison de ma tante serait donc aux Anglais, la rangée des maisons de père qui était occupée par les Allemands avant qu’on y mette le feu a servi ensuite aux Anglais maintenant tout est complètement démoli, ce n’est pas étonnant, du Touquet, il ne reste rien !.... Mr Prévost dit que Frelinghien n’est plus qu’un amas de ruines, 8 civils y habitent encore, ils partagent le pain des soldats. La brasserie Coopérative est toujours remplie d’Allemands, le cabaretier du « Damier » est toujours chez lui et sa maison est voisine du pont ; on craint qu’elle ne s’écroule bientôt car elle est fort ébranlée et a reçu quantité d’éclats d’obus. De larges fissures se voient un peu partout. Pourquoi s’entêter à vouloir habiter pareille demeure ? De la boulangerie de Mr Prévost à la brasserie coopérative, il faut un passe port spécial, les maisons sont toujours remplies de soldats comme il y en que très peu qui sont encore droites, les Allemands s’y entassent, chez Mr Prévost, il y en a 45 ! Comme Père demandait pourquoi les civils de Frelinghien n’avaient jamais essayé de rejoindre les Anglais en traversant la Lys à la nage, ce qui aurait été très facile, le soir, grâce aux grandes herbes qui garnissent les prés, Mr Prévost nous a donné un détail que nous ne connaissions pas. La Lys est remplie de moulinets de fer et de fils de ronces qui rendent toute traversée impossible. Les Alliés avanceront difficilement de ce côté. Un soldat allemand qui faisait les courses de Mr Prévost quand il habitait Frelinghien a obtenu de l’accompagner à Verlinghem. Ce fait est d’autant plus extraordinaire que le régiment dont il fait partie reste sur la ligne de feu ; d’un courage de lion dans ce combat, ce soldat d’infanterie se révolte facilement et sa colère est terrible, ses chefs ont sans doute eu peur de le contrarier en ce moment surtout, alors qu’un vent de révolte souffle sur les troupes allemandes. Le 104ème régiment d’infanterie est parti dans les tranchées depuis 20 jours, un soldat qui revient de là-bas dit que ses camarades sont découragés toujours on leur promet qu’ils seront bientôt remplacés et les nouvelles troupes n’arrivent pas. L’ordonnance d’un oberlieutenant du 77ème régiment d’infanterie est rentré ce soir des tranchées de Basse Ville, la nuit dernière a été terrible pour les Allemands, constamment les Anglais leur ont envoyé des grenades, l’ennemi a pris sa revanche aujourd’hui en détruisant des tranchées anglaises qui étaient de véritables forteresses....

Dimanche 20 juin 1915
…….. A Frelinghien, dans la brasserie Lutun, 5 officiers qui jouaient aux cartes ont été tués par une grenade.……. 

.....La ferme Ducourouble du Funquereau doit être évacuée, les propriétaires auraient reçu l’ordre de partir. Pourquoi ? Encore une nouvelle pose de canons ? ........ (Au hameau de la Croix au Bois en 1906, on trouve Léonie DESQUIENS (1854) fermière DUCOUROUBLE  Emile (1878), Julie (1880) Maria (1883), Madeleine (1885), Louise (1888) Léonie (1889) Louis (1891) Noël (1893) )
 
Jeudi 24 juin 1915
…….Les Anglais ont miné la brasserie Lutun à Frelinghien et l’ont ensuite fait sauter ; les Allemands craignent que les caves de la brasserie coopérative subissent le même sort. Ils ont averti le cabaretier du Damier qu’il n’était plus prudent d’habiter sa maison qui se trouve en face de la brasserie. De la ferme Barbier, on voit le drapeau anglais flotter près de la ligne de chemin de fer de Warneton à Comines près de la barrière du Gheer. Les Anglais avancent pendant la nuit. Ils minent tout le terrain depuis la barrière jusque la ferme Vanraes (ancienne ferme Tahon). Un soldat entendant du bruit sous terre, ne veut plus rester à cet endroit, quelques heures après une explosion épouvantable se produit ; les Anglais venaient de miner ce terrain. ……. 

Samedi 26 juin 1915
.... De différents côtés, on nous dit que Vimy est repris par les Français. On se bat toujours du côté de Frelinghien. Des aéroplanes français et anglais passent vers 6 heures,

Dimanche 27 juin 1915
.........Les évacués qui sont passés par la Suisse pour gagner le midi ont fait un beau voyage ; la famille Delefortrie de Frelinghien fait savoir par un prisonnier que toutes les personnes de Frelinghien qui les accompagnent sont fort heureuses. Mr et Mme Delefortrie sont dans la Dordogne. Une personne de Quesnoy vient de recevoir une lettre de son mari qui l’invite à prendre part au premier départ, pour le retrouver aux environs de Paris où l’on rencontre beaucoup de familles du Nord.
 
Lundi 5 juillet 1915 
 ...........l’église a reçu des obus parce que les soldats sont allés au clocher, ils sont montés aussi dans la cheminée de la minoterie Reuflet et les officiers ajoutent : « Dans quelques semaines, cathédrale kaput ! Quesnoy égale Frelinghien. ».
 
Mardi 6 juillet 1915 
….Ce soir, le hussard qui amène les soldats au poste, nous dit que Frelinghien, où il est allé est complètement démoli mais les caves de la brasserie coopérative sont toujours occupées par eux.  ……. 

Jeudi 8 juillet 1915
……Nous espérons toujours en la victoire finale ; si nous sommes découragés c’est parce que nous comprenons bien maintenant, que Quesnoy doit être détruit comme l’ont été Warneton et Frelinghien. Cette guerre est trop longue. . …… 

Vendredi 16 juillet 1915
Cet après-midi, deux personnes ont été tuées par une grenade au hameau du Funquereau. Ces cabaretiers avaient reçu deux grenades sur leur maison : craignant qu’elle ne s’écroule, ils sortaient de chez eux quand la 3ème grenade est arrivée. C’est ce troisième obus qui a tué ces deux personnes; une femme du Funquereau a été blessée par un éclat, effrayée parce que son petit garçon était dans la rue, elle s’est mise à sa recherche, c’est ainsi qu’elle a été blessée, tandis que son gamin est rentré sain et sauf. Il est regrettable de voir encore tant d’enfants jouer dans les rues alors que les grandes personnes n’osent plus sortir. Par prudence, on ne fait pas la classe, les parents devraient comprendre qu’ils doivent garder leurs enfants chez eux.

Vendredi 23 juillet 1915 
…... On vient d’apprendre la mort de deux Quesnoysiens ; Mr Le Doyen est allé prévenir les familles. Tous deux sont mariés, l’un nommé Bazaine est père de cinq enfants, l’autre est un fils Dewille dont les parents habitent le hameau du « Grand Cabaret ».....
  
(Emile Baesen : né le 30/03/1883 1er RIT / N° 963 Centre de Lille – Classe 1903/ mort le 6 septembre 1914 à Maubeuge. Habitait au hameau de la Justice. Ouvrier agricole – habitait à Frelinghien au hameau du Badou en 1908, est arrivé à Quesnoy en 1911 au hameau de la Justice. Disparu depuis le 8 septembre 1914 à Maubeuge, déclaré décédé à cette date. )

…. Deulémont devient inhabitable, tout fait craindre qu’il subira le même sort que Frelinghien.

Jeudi 29 juillet 1915
.....Ce matin, vers 5 h, départ de plusieurs compagnies du 77ème régiment d’infanterie, vers 9 h, nous voyons passer le capitaine Bockelmans à la tête de sa compagnie, apercevant mère, il lui dit adieu. On a enterré beaucoup de soldats ce matin, la voiture des morts est passée plusieurs fois. Les Anglais ont encore envoyé beaucoup de grenades sur le hameau du Funquereau. Une nouvelle que nous ne croyons pas, circule en ce moment : le Kronprinz aurait été assassiné par un soldat.

Dimanche 1er août 1915
........Vers 9 h ½ pendant cet office protestant, deux aéroplanes anglais et allemand se mitraillent au-dessus de Quesnoy. L’ennemi veut empêcher notre allié de s’avancer au-dessus du bois pendant la cérémonie. Quelques bombes jetées à cet endroit seraient bien employées. Plusieurs régiments y sont réunis, c’est pourquoi on voit tant d’aéroplanes allemands survoler Quesnoy à cette heure. Ce matin, on voit passer plusieurs fois la voiture des morts ; beaucoup de soldats se dirigent vers le cimetière chargés de couronnes et de gerbes de fleurs. Ensuite ce sont les officiers qui arrivent en auto, en voiture. Va et vient continuel dans le quartier, on va donc enterrer plusieurs officiers. Nous partons au cimetière, l’entrée n’est pas interdite. De nombreuses autos et voitures stationnent près de la grille. Une auto est remplie de gerbes et de couronnes, un peloton de soldats se tient près de la grille. Une s’arrête, plusieurs grands officiers descendent, les officiers présentent les armes ; à l’uniforme, nous reconnaissons un général, il est accompagné de toute sa suite. La cérémonie commence dès son arrivée, le pasteur parle dès que la musique a fini d’exécuter son hymne funèbre, la 1ère fosse est creusée pour un oberlieutenant d’un régiment de chasseurs, une autre très grande pour 8 soldats. Pendant le discours, tous les officiers sont réunis derrière le général qui se tient tout près de la tombe. Ensuite la musique exécute encore un hymne pendant lequel le pasteur bénit la fosse tandis que les officiers se découvrent les soldats présentent les armes. Le général jette un morceau de terre sur le cercueil de l’officier, toute sa suite l’imite. Cette cérémonie terminée, une autre toute semblable recommence. On va maintenant bénir la fosse du commandant de place qui vient d’être tué à Frelinghien. C’est ce qui explique pourquoi le général est venu aujourd’hui au cimetière. C’est la première fois ici, qu’on enterre ici un commandant de place. Voilà pourquoi les officiers y sont si nombreux. Le commandant de place de Frelinghien sortait du château de Mr Delecaille, situé rue du Pont Rouge, il prenait place dans son auto quand une grenade anglaise a éclaté sur la voiture, la mort fut instantanée pour le commandant qui a eu le corps coupé en deux, plusieurs soldats ont subi le même sort, de l’auto il ne reste plus rien. Les Anglais ont bien visé cette fois !....

Lundi 2 août 1915
......Hier soir, grands combats à la baïonnette aux environs de Frelinghien, vers 9 h ½ fortes détonations. Samedi soir, de Deulémont, on a vu sauter plusieurs tranchées près de la ferme Deconinck entre le Touquet et le Pont Rouge. Les soldats, qui comme les civils, ont été les témoins de ce tremblement de terre, ont paru fort fâchés mais n’ont pas parlé de ce qui venait de se passer. Ils comprennent bien que leurs camarades y sont tombés nombreux, il paraît qu’une tranchée détruite par une mine présente un aspect vraiment épouvantable qu’on ne sait expliquer qu’en la comparant à un volcan embrasé. Le nombre de victimes est alors incalculable, impossible de réunir les cadavres ; beaucoup de soldats sont ensevelis vivants, d’autres projetés au loin sont affreusement mutilés...... 

......Le 181ème régiment d’infanterie qui était à Frelinghien, arrive loger à Quesnoy, nous n’avions pas encore assez de soldats. Une personne d’Armentières fait savoir à sa sœur que la situation là-bas n’est plus tenable, elle songe à quitter la ville. On dit que la gare et les environs sont fort endommagés. Les Allemands nous disent si souvent : « On bombarde Armentières ! ».

Lundi 9 août 1915
.......Tous les gendarmes quittent Quesnoy, on dit qu’il y a des émeutes en Allemagne. Dans la nuit d’avant-hier, 22 canons ont été mis en activités près de la Houlette (« Os à moëlle »), ils étaient dirigés sur Armentières. Cette canonnade a commencé vers 3h ½ du matin, toute la nuit d’autres canons allemands ont envoyé des obus dans la direction d’Ypres, Messines, Quatre Rois. Grands combats dans ces environs. Les canons de la Croix aux Bois sont maintenant posés à la Houlette, on les change très souvent. Le cabaretier du Funquereau était parti depuis deux jours quand un obus détruit sa maison, il venait d’emporter ses meubles heureusement.....

Dimanche 8 août 1915
.......C’est ainsi que les sœurs de Germaine (servante de la famille) apprennent que Messines, Warneton, Frelinghien n’existent plus. Que Deulémont, Pérenchies, Quesnoy ont déjà reçu bon nombre d’obus. Ces soldats leur parlent de la Basse Ville, comme d’un véritable enfer, ils disent que les environs d’Ypres ne sont pas plus épargnés que La Bassée. Pendant que ce combat qui dure 3 semaines, beaucoup de soldats passent mais très peu reviennent, les survivants racontent qu’il y a des monceaux de cadavres, on n’enterre pas les morts, la lutte n’a pas d’accalmie. Pendant la journée, on voit passer des prisonniers hindous et anglais, les sœurs de Germaine n’ont jamais vu de Français...... 

Vendredi 13 août 1915
......Nous venons d’apprendre la mort de Mr Choisy qui habitait Frelinghien, sa dame est morte un peu après son départ, au début de la guerre.  
(Emile Choisy Lieutenant 5 RIT / Classe 1894-1896 N° 4697 à Lille. Mort le 22/09/1916 à l’Hôpital annexe Saint Paul de Chartres / Maladie : diabète et turberculose. Né le 22/08/1876 à Wattrelos – domicilié à Frelinghien

Le père part quelques jours après la mobilisation laissant ses 4 enfants avec sa femme déjà fort souffrante. Mme Choisy meurt quelques semaines après ; un mois plus tard, les enfants et leur grand-mère doivent quitter Frelinghien. Où sont partis ces évacués ? Aujourd’hui, nous apprenons la mort de Mr Choisy. Que d’orphelins !.... Mr Cyrille Allot de Frelinghien n’a pas été victime d’un accident à l’abattoir, comme on l’avait dit d’abord, il est mort à Paris le 4 décembre de la fièvre typhoïde. (Né en 1885 à Verlinghem - boucher chez son père Louis en 1906, rue au Vent) Mr Prévost (boulanger de Frelinghien) nous dit qu’il vient de recevoir des nouvelles de deux cousins jeunes gens de 17 ans 1/2, déjà blessés !..... Ils sont maintenant en repos en Bretagne. Ils n’ont pas dix-huit ans et déjà ils ont pris part au combat !


Vendredi 20 août 1915
........On enterre beaucoup de soldats ce matin. Le 181ème régiment d’infanterie est arrivé à Quesnoy pour 3 semaines et le 104 le remplace à Frelinghien : ce n’est qu’un changement de troupe. Le 134ème revient, le 77ème va le remplacer à la « Basse ville ». ......

.......Aujourd’hui, 30 prisonniers français sont passés à Lille, ils avaient le nouveau costume gris bleu ...... 

Mercredi 23 août 1915
.......Les chasseurs font leurs préparatifs de départ, ils quittent Quesnoy la nuit prochaine, ils se dirigent sur Loos, plusieurs compagnies rentrent des tranchées de Frelinghien ce soir vers 9 h ; ils n’auront pas grand repos ces chasseurs !.....

Vendredi 27 août 1915
.......Ce matin, le 181ème part pour l’exercice cers 6 h 1/2, l’officier déjeune dans la salle à manger. Il prend tous ses repas ici, à peine avions-nous fini de dîner qu’il a fallu mettre la table pour lui, c’est l’ordonnance qui fait sa cuisine. Le Lieutenant parle très bien le français et s’intéresse à tout ce qui se passe ici, il a posé quantité de questions à Germaine, tandis que nous étions sorties et tout de suite, a demandé combien de personnes habitaient cette maison. Son sergent lui a dit qu’il y avait grand emplacement qu’on pourrait lui donner une salle qui lui serve de bureau. A père, il lui parle de Frelinghien où il a passé plusieurs mois dans une ferme où il n’y avait plus de civils, il arrive maintenant de Deulémont et a logé plusieurs jours chez Mr Verbecke. Il ajoute qu’il aime beaucoup de parler avec des Français ; nous lui répondrions volontiers que nous n’avons pas autant de plaisir de converser avec des Allemands. C’est le premier officier que nous entendons si bien parler français, il a l’accent alsacien. A Frelinghien, dans la ferme Delannoy près de la chapelle Leterme, il y a encore une douzaine de personnes, femmes et jeunes filles. L’officier avoue qu’il faut encore avoir beaucoup de courage pour habiter cette ferme tandis que les obus éclatent de toutes parts ; les soldats ont abandonné ce quartier depuis longtemps, ils préfèrent se réfugier dans les tranchées. Les Allemands croyaient que la guerre n’allait pas durer plus de 2 mois ; ils espéraient être à Paris 4 semaines après la mobilisation !..... Le lieutenant explique tout cela à père qui ne veut pas dire tout ce qu’il pense, car alors ce serait entrer dans une discussion interminable. Père prétexte qu’il doit se rendre chez le commandant, ne voulant pas continuer plus longtemps une conversation sur un sujet aussi épineux........

Mardi 31 août 1915
.....Un soldat du 181ème qui parle très bien le français nous raconte qu’il est arrivé au « Touquet » vers le 15 octobre ; il a logé longtemps chez ma tante Flore, déjà à ce moment-là, tous les civils étaient partis car les Anglais y envoyaient de très grosses grenades. Frelinghien n’était pas encore évacué mais le « Touquet » avait déjà beaucoup souffert. La maison de ma tante n’est pas complètement rasée mais elle est fort endommagée, la ferme de Mr Vanraes est complètement détruite, elle a même été brûlée. D’après les Allemands, les habitants du « Touquet » ont dû se diriger sur Armentières en passant par le Bizet, ils n’ont pas pu passer par le pont de Frelinghien. Tout autour de la maison de ma tante, il y a des tranchées, du « Touquet », il ne reste plus rien.... 

Samedi 4 septembre 1915
.....Les Anglais envoient des grenades sur le « Funquereau »,  l’école est fort endommagée.......

Dimanche 5 septembre 1915
..... Ce matin, des femmes escortées de gendarmes, se rendent chez le commandant, elles ont été arrêtées au moment où elles sortaient de Quesnoy chargées de pommes de terre. L’estaminet du Funquereau est maintenant complètement rasé, les Anglais y envoient très souvent des grenades......

Lundi 6 septembre 1915
.....Chaque premier lundi du mois, Mr le Curé de Frelinghien réfugié à Fives, dit une messe à laquelle il invite tous ses paroissiens évacués dans les environs ; ils arrivent de Marcq, Tourcoing, Lille. De Quesnoy, il n’y a jamais grand monde, on délivre si difficilement des passeports. Aujourd’hui, une personne y est allée. Pour obtenir un laissez-passer, elle a prétexté qu’elle allait chercher du logement à Lille, après bien des explications, elle a pu l’obtenir. Beaucoup de personnes assistaient à la messe dite dans la chapelle. Pour causer, on se réunit ensuite dans une salle d’œuvres, tout le monde est content de se revoir et de parler de son village ! Un monsieur de Frelinghien fait savoir qu’il fait des démarches pour obtenir des nouvelles de ma tante Flore et de ses enfants.

Lundi 13 septembre 1915
Ce matin, on enterrait 5 soldats. Ce soir, grands combats direction de Frelinghien. Fusillade, mitrailleuses, canonnade nous étourdissent. Que de victimes encore ! A quand la paix ? Vraiment cette situation n’est plus tenable, nous tremblons en pensant à nos soldats, si cette lutte se continue, ils reviendront bien peu nombreux..... 

Mardi 14 septembre 1915
.....Forte canonnade hier soir entre 9 h ½ et 10 heures, toujours direction de Frelinghien.... 

Jeudi 16 septembre 1915
.....Il y a longtemps que nous n’avions pas passé une soirée comme celle d’hier. Impossible de s’endormir tant la fusillade était forte, les chambres se trouvaient subitement éclairées. Que d’éclats dans la direction de Frelinghien et de Warneton.

Mardi 21 septembre 1915
.....Ce matin vers 6 h, un des lieutenants du capitaine Von Krosigk entre en passant, il accompagne le capitaine aux tranchées de Frelinghien ; ils repasseront par Quesnoy vers 10 heures, le capitaine nous fait savoir qu’il viendra prendre une tasse de café. Ils n’oublient pas leur ancien quartier !...


Sources IWM (Imperial War Museum) - Gare du Touquet - Décembre 1914 Avril 1915
Sources IWM (Imperial War Museum - @IWM Q37550 - Photo prise depuis "Butchers Shop" - tranchées britanniques , Ouest de Frelinghien. Direction: - Frelinghien. Date:15 avril 1915.
11 novembre 1972 - Frelinghien - Angèle DE BOCK  est à l'extrême-droite de la photo au deuxième rang - Crédit photo : Mr Michel PACAUX (Maire de la Commune de 1971 à 2020)
Angèle DE BOCK - seconde source

......Février 1915  : L'odyssée d'une jeune fille belge, originaire des environs de Mons, donnera à la justice allemande une nouvelle occasion de sévir sur le territoire de la commune (Quesnoy sur Deûle). Dès le début des hostilités, cette jeune patriote de 16 ans, s'était occupée du rapatriement des soldats anglais restés isolés en Belgique après la bataille de CHARLEROI.

    Ce travail terminé, elle s'enrola dans une organisation de passage de lettres et messages à travers les lignes. Plusieurs fois déjà, elle avait réussi de nombreux déplacements.

    Nous suivrons son voyage commencé le samedi 20 février 1915. Venant de Belgique, sa première étape était LILLE, au café Belle-Vue (Actuel FURET). A 2 heures de l'après-midi, elle devait y trouver le guide qui la conduirait plus avant. Il n'était pas là;  il arriva à 3 heures. Aussitôt, ils se mettent en route pour SAINT-ANDRE, mais ils ont une heure de retard ! Un retard en ce genre d'aventure est chose grave; on ne s"attarde jamais sur place.

     Le vieux fraudeur qui devait la conduire à FRELINGHIEN et lui faire passer la LYS sur un radeau, n'était plus là. Pour passer inaperçue, elle était vêtue comme une ouvrière de l'époque; avait un tablier de toile bleue et un panier au bras.

    Courageusement, seule, elle prend la direction de FRELINGHIEN; il y avait peu de monde dans les rues; elle marchait quand une auto s'arrête à son côté et lui demande la route de QUESNOY :
- C'est tout droit Monsieur, j'y vais.
- Alprs montez Mademoiselle, lui répond l'officier allemand qui parlait très bien le français.
Il la laisse au Pont de Quesnoy.

    Le soir tombait; c'était l'heure du couvre-feu. Dans la rue d'Ypres qu'elle devait emprunter, arrive une patrouille allemande; pour l'éviter, une seule ressource, passer le pont et monter la rue Belle-Croix - En haut de celle-ci, une autre patrouille avance ! Que faire ? .......

    Elle pousse la porte du premier magasin qui se trouve sur sa route; c'est la mercerie de Madame DOZIER-BRANDT. Près du comptoir, en quelques mots, elle explique sa présence. Aussitôt accueillie comme une habituée et reçue dans la cuisine où se trouve la famille et des soldats allemands qui ont là leur logement. Tout va bien, la soirée et la nuit se passent en confiance et en sécurité. 

    Mais la mission doit se continuer; dès le lendemain matin, la jeune fille reprend la route vers FRELINGHIEN, plus que jamais son passeur lui manque; elle s'égare mais trouve une ferm, chez Monsieur MASSE qui lui donne tous les conseils utiles en pareille circonstance; elle y cause même avec un caporal allemand qui parle parfaitement le français parce qu'il a vécu à PARIS.

     Reste le plus difficile, atteindre la Lys à travers une campagne où les civils ont été évacués. Après avoir parcouru une petite distance, elle est interpelée, arrêtée et ramenée à Quesnoy entre deux soldats qui la conduisent à l'Etat-Major de la 40ème Division (au bout de la rue Foch)
(Château LEPERCQ)
 
    Fouillée, les Allemands découvrent une cinquantaine de lettres. Le Général ordonne sa garde à vue. Sa première nuit de prisonnière se passe au corps de garde des Hussards, dans le café du Mouton Blanc, tenu par Mr COCHEREL, face à l'église, là où il se trouve toujours. Le lendemain, on la transfère dans une immonde salle de la Gendarmerie, qui sert habituellement de lieu de détention pour les soudards allemands.

    Chaque jour, on l'amène à l'Etat-Major de la 40ème Division. Elle comparait devant le tribunal Miltaire composé du Kromprinz RUPPRECHT de BAVIERE et une douzaine d'officiers en costume de grand apparat et gantés de blanc. 

    Après trois jours d'interrogatoires interminables et épuisants, elle est accusée et condamnée à mort le mercredi à 6 heures du soir.

    Elle demande un prêtre, mais refuse l'aumonier allemand. Monsieur le Doyen DELECROIX, accompagné d'un officier est autorisé à lui rendre visite, mais ne peut la voir seule. Il lui donne une absolution qu'elle croit être la dernière de sa vie.

    Ultime espoir, elle signe son recours en grâce. De son côté Monsieur le Doyen multiplie les démarches près des plus hautes autorités militaires jusqu'à LILLE. Enfin la nouvelle arrive, la peine de mort est commuée en 10 années d'emprisonnement. Conduite en Allemagne, successivement dans les prisons d'AIX LA CHAPELLE, de COLOGNE, de SIEBURG où se trouvent déjà plusieurs de ses connaissances, dont Louise de BETTIGNIES. Enfin, en représailles, en forteresse à BRESLAU, où le régime est atroce. Là, sa faim est telle, qu'elle ronge le pied en bois de sa table.

    Libérée à la fin de la guerre, cette héroïne garde une reconnaissance émue à Monsieur le Doyen DELECROIX et à Madame DOZIER-BRANDT à qui elle rend visite chaque année, en allant, pour les fêtes du 11 novembre à FRELINGHIEN, dont elle est citoyenne d'Honneur. Titulaire de nombreuses décorations bien méritées, encore vaillante malgrè son âge, qu'elle soit assurée de notre reconnaissance admiration.

   Ô de la Deûle -
(pseudo de Melle Léontine LEBRUN - Il semble fort probable que Melle LEBRUN, avec les détails donnés dans ce texte de 1979, aura  rencontré Mme Angèle DE BOCK )

Angèle DE BOCK - Troisième source
Document transmis par Mr Michel PACAUX (Maire de Frelinghien de 1971 à 2020)
Frelinghien le 29 janvier 1915 - photo prise depuis les tranchées anglaises - La Lys déborde et inonde le "No man's land"
Partie "Frelinghien" d'une carte anglaise des défenses allemandes. (La photo  ci-dessus pourrait avoir été prise depuis le secteur 16. La lettre C se trouve sur la carte d'origine )  
Sources: Carnets de guerre de Claire Doolaeghe - Archives du journal "LE QUESNOYSIEN" - N° 16 février 1979