Une très discrète Résistante quesnoysienne
Page créée le 7 février 2021      Mise à jour le 4 décembre 2021
    C'est par hasard, en étudiant le dossier d'Harold COLE dans les archives déclassifiées du M.I. 5 anglais, que cette Résistante quesnoysienne a pu être retrouvée. 

    Le M.I.5 pour "Military Intelligence section 5" est le service de renseignement responsable de la sécurité intérieure du Royaume-Uni. Pendant la seconde guerre mondiale, il eût à traiter de très nombreux dossiers pour lesquels on retrouve désormais l'inventaire aux archives de KEW. Un des  dossiers de cet inventaire  est relatif au cas d'Harold COLE; il comporte plus de 850 pages. 

    Soldat britannique arrivé en 1940 avec le contingent britannique, il est affecté dans le secteur de Marquette Lez Lille et de La Madeleine. Il a déjà derrière lui un  passé judiciaire assez conséquent. Trafiquant de voitures volées, il est plusieurs fois emprisonné avant guerre en Angleterre. Il s'engage dans l'armée mais commet de multiples larçins notamment à Honk-Kong. Il en est exclu mais s'engage quelques mois plus tard, sous un faux nom, dans un autre régiment qu'il désertera ensuite.

     Il sera Interrogé en juin 1945 par le M.I. 5 non sans s'être réfugié en Allemagne en août 1944 en intégrant une colonne de soldats SS et de policiers de la gestapo. Il fournit de nombreux détails de sa vie aux enquêteurs. Fils d'un militaire anglais tué en France pendant la première guerre mondiale, il déclare également avoir quitté le domicile familial dès la fin de son adolescence parce qu'il ne supportait plus le second mari de sa mère.

      En 1940, après la débâcle des armées alliées, il se met au service d'une filière d'évasion qui commence à s'organiser  et qui a pour but l'exfiltration  vers la zone non occupée et Marseille des soldats anglais cachés un peu partout dans le Nord de la France et en Belgique. Il fait alors connaissance avec de nombreuses personnes dans les secteurs de Roubaix, La Madeleine, Marquette Lez Lille, Saint-Omer, Athée sur Cher dans l'Indre et Loire, Marseille, Toulouse.....  On lui fait confiance, on lui confie beaucoup d'argent pour les convoyages. Il se déplace régulièrement du Nord au Sud de la France et organise de nombreux convoyages effectués notamment avec ou par Roland LEPERS et Madeleine DAMERMENT. On le retrouve parfois sous  les pseudos de "Paul DELOBEL" ou "Paul"  
(
Carte d'identité remise avec ce nom, en juin juillet 1940, par Mr François DUPREZ travaillant au bureau des réquisitions allemandes à la Mairie de La Madeleine - Arrêté le 6 décembre 1941 - Déporté - Mort en déportation) dans certains rapports d'évasion de militaires britanniques.
 
      Harold COLE dit avoir été dénoncé par un certain L.......... et arrêté par des membres de la G.F.P de Lille (
Groupe de policiers allemands après une enquête menée par Cornelis VERLOOP, d'origine hollandaise qui a beaucoup opéré en Belgique et dans le Nord de la France.chez Madame DERAM au 50 avenue Bernadette à La Madeleine, le 6 décembre 1941. Il est retourné et devient alors très rapidement agent de la  Gestapo.   En 1942, il est arrêté par la Police de Vichy. Les procès-verbaux de son interrogatoire, en français, sont dans le dossier du M.I. 5. Il déclare au commissaire de l'Etat français qui l'interroge, en premier lieu, être officier allemand  puis, en second lieu, se rétracte et devient alors commerçant en voitures automobiles intialement engagé dans l'armée mais démobilisé pour raisons de santé. Il s'invente également  à d'autres moments un passé de policier, repéré par sa hiérarchie militaire pour devenir officier de renseignement et part sur le terrain après être passé par une école de formation sur le renseignement en Angleterre.

    C'est donc dans ce rapport de 1942 que le nom de Madame DELMONT apparaît pour la première fois.  Harold COLE y indique qu'elle est marchande de lait  et qu'elle habite "AU QUESNOY (NORD)". 


Sources : 12/06/1942 Commissariat Special de la Surveillance du Territoire à Lyon - Georges STEMART assisté des Inspecteurs VAUDANT et ACQUAVIVA - PV de 2ème audition du nommé COLE Harold 36 ans né à Londres - Contre lui-même Atteinte à la Sureté extérieure de l'Etat  - DOSSIER Harold COLE - Archives déclassifiées du M.I. 5
Sources : Rapport du 17 juin 1945 - DOSSIER Harold COLE - Archives déclassifiées du M.I. 5
Pour Monsieur SELING, il s'agit de Monsieur Fernand SALINGUE, instituteur à Burbure dans le Pas de Calais. Alors que la G.F.P de Lille était venue arrêter Protais DUBOIS le 7 décembre 1941, un des amis de Monsieur SALINGUE, témoin des évènements ou à la demande de Madame Salingue,  Monsieur André REVEILLON, coureur cycliste professionnel avait rapidement enfourché sa bicyclette et était venu le prévenir des arrestations en cours dans la commune (Sources Madame S. Salingue - petite-fille de Fernand) . Monsieur Fernand SALINGUE a ainsi échappé de justesse aux arrestations qui ont eu lieu à La Madeleine, Lille, Roubaix, Saint-Omer, Burbure, Abbeville, Paris... début décembre 1941. Il partira se cacher pour quelques semaines à Lille chez Madame Gisèle REVEILLON, soeur d'André, avant de rejoindre clandestinement la Zone Libre. Jean, le fils d'André REVEILLON, deviendra  journaliste de télévision et dirigera notamment le service des sports de France 2.
     Il fournit donc une liste avec  les noms de personnes qui l'ont aidé dans "son travail".  On verra que cette liste de noms va s'allonger dans ses déclarations de 1945; liste où il fera la distinction entre les personnes qu'il dit avoir dénoncées et  celles pour lesquelles il affirmera qu'elles n'ont pas été arrêtées car non "signalées" aux Allemands.

     Les deux listes sont précises avec les exactes civilités et les adresses. Pour celle de 1942, en  4, on peut donc  lire Madame DELMONT, marchande de lait au QUESNOY (Nord). En 6, le Directeur des Postes de Marquette et sa femme, Monsieur DENMERMONT. En 9, on retrouve aussi Monsieur Protais DUBOIS  à BURBURE dans le Pas-de-Calais (Il explique d'ailleurs en détail par quelle ruse il a fait arrêter Protais DUBOIS qui sera décapité à Dortmund en 1943). Pour la liste de 1945, on retrouve les mêmes noms avec quelques détails qui diffèrent.

     Pour  MARQUETTE, il s'agit de Monsieur et Madame Charles Eugène et Madeleine DAMERMENT, receveur des postes, au 8 rue de l'Eglise. Le couple sera arrêté plusieurs fois et emprisonné à la prison allemande de Loos-Lez-Lille. Monsieur DAMERMENT décèdera également en déportation. Leur fille MADELEINE convoya  de nombreux soldats et aviateurs. Recherchée par la gestapo, elle se résoud à franchir les Pyrénées le 8 mars 1942 pour passer en Espagne avec Roland LEPERS,  grâce, notamment, aux guides du républicain espagnol Francisco PONZAN-VIDAL. Intégrant le S.O.E à son arrivée en Angleterre, elle fut arrêtée lors de son parachutage dans le centre de la France, dans la nuit du 28 au 29 février 1944. Déportée, elle sera exécutée à DACHAU le 13 septembre 1944.
 
       Pour Madame DELMONT, il n'indique que Madame. 

      Madame DELMONT, citée par Harold COLE,  était-elle la marchande de lait habitant au Hameau de la Justice à QUESNOY-SUR-DEULE ? Mais comment être certain qu'il s'agisse bien de Madame  Marie-Louise DELMOTTE-LEVOYLLIE qui habitait non loin du gazomètre et du silo de la commune.  Il pouvait y avoir plusieurs marchands de lait à Quesnoy sur Deûle pendant la seconde guerre mondiale. 

      Un premier indice permet de valider cette hypothèse. En 1947,  Monsieur Henri DELMOTTE, le frère de son mari ALPHONSE, est élu maire de MARQUETTE-LEZ-LILLE et prend comme adjointe Madame Veuve Madeleine DAMERMENT. Le groupe se connaissait donc bien. Le nom de cette Résistante, comme de nombreux autres noms, peut donc être catégorisé "phonetic spelling" (suivant l'expression utilisée  par les anglo-saxons). Conséquence de la prononciation liée à la langue anglaise.

      Second indice : Monsieur Alphonse DELMOTTE, le mari de Madame Marie-Louise DELMOTTE, était prisonnier en Allemagne. Harold COLE ne peut donc l'avoir connu et  la civilité semble très précise pour les noms retrouvés dans la liste . Pendant ces années de guerre, elle assuma donc seule son métier. Se levant tôt le matin pour chercher oeufs, beurre et lait dans les fermes du secteur qu'elle allait ensuite vendre dans les communes du secteur de MARQUETTE ou de LA MADELEINE LEZ LILLE. 

      N'ayant pas eu de descendance, il est désormais impossible d'obtenir des informations sur le travail accompli par Madame DELMOTTE dans la Résistance.  L'aide fournie a-t-elle été d'ordre matérielle pour nourrir les soldats anglais cachés dans de nombreuses maisons de la région ? A-t-elle convoyé ces mêmes soldats de lieu en lieu avec sa camionnette comme l'a fait Mr HONORE pour des trajets de Lille à Paris ?  Peu de gens semblent avoir été tenus au courant. Il parait également fort probable que ses propres voisins et amis n'aient rien su de ses activités dans "le réseau COLE" avant qu'il ne devienne "agent provocateur" de la G.F.P de Lille en décembre 1941 puis de la SIPO-SD de Paris en mars 1944.  Aucune demande de dossier de Résistante n' a d'ailleurs été retrouvée dans les archives du SHD de Vincennes pour Madame DELMOTTE.

     Un grand nombre de personnes citées par Harold COLE ont un dossier "French Helpers" à la NARA aux USA, notamment les personnes habitant à LA MADELEINE. Elles sont citées dans l'interrogatoire d'Harold COLE effectué le 17 juin 1945 par les officiers  du renseignement britannique.  Les études de ces dossiers nous donneront peut-être des indices. 

      Harold COLE avait finalement éveillé les premiers soupçons à MARSEILLE dès août 1941, notamment de la part du Docteur Georges RODOCANACI et du Docteur GUERISSE, chef du réseau Pat O' Leary, qui venait de remplacer  le Capitaine Ian GARROW, arrêté par la Police de Vichy.  Quelques personnes du Nord avaient également signalé aux chefs de la filière à Marseille les doutes qu'ils avaient sur cet ancien soldat britannique de la B.E.F. et qui se disait membre de l'Intelligence Service britannique. Jean CHEVALIER et Henri DUPREZ  de Roubaix, Roland LEPERS de Wasquehal, convoyeur sous les ordres d'Harold COLE en avaient progressivement découvert le vrai visage.

       Les services secrets britanniques ont initialement été très dubitatifs des propos ou des informations transmises par les Résistants français sur leur concitoyen. Comment pouvait-on émettre des doutes sur ce soldat qui semblait travailler aussi généreusement  pour la cause alliée ?   Une minutieuse enquête  menée pendant  près de 4 ans et dont l'ensemble des documents compose le dossier d'archives  a  finalement permis à un officier britannique enquêteur de conclure dans une de ses lettres en février 1945 : "Harold COLE fut l'un des plus grands renégats de l'armée de notre pays".  

 

A SUIVRE........